Véronique Pestel, version poche
26 avril 2024, festival « Chants ouverts » à Saint-Vincent-de-Durfort,
C’est une Pestel de poche, formule à l’économie pour petit festival naissant et fragile, soucieux de ses comptes. Un peu comme le livre de poche l’est face à La Pléiade. Pas de Steinway cette fois-ci ni de prestigieux éclairages mais un clavier électrique et quelques projos : comme une formule faite maison, forcément plus intime. Et c’est bien, aussi ; ça nous intimide moins…
Pest’Of, ça fait certes best-of et c’est le cas : un florilège, le survol de quelques décennies et d’une dizaine d’albums, l’occasion de ré-entendre quelques titres abandonnés en chemin, laissés pour compte sur les bas-côtés d’un déjà bel itinéraire. « Après toutes ces années passées à mêler la parole des poètes à la mienne, je suis curieuse de ce voir ce que je raconte quand je parle toute seule. » Alors Pestel soliloque, se raconte, au passage nous instruit plus encore. Rien que de réentendre certaines chansons de Babels (un de mes disques de chevet) est pour moi rare enchantement… Autant que d’en découvrir d’autres, comme ces deux inédits, chansons de circonstance qui débutent son récital, revenant ainsi sur « une année blanche et combien d’années noires ».
Pest’Of, ça fait aussi un peu pestiférée, du moins ça en a la consonance : et ça lui va bien à Véronique. Pestiférée non en raison de sa scandaleuse absence des médias (cette infortune est commune, qu’elle partage avec bien trop de ses collègues de paroles pour s’en plaindre encore), mais comme les sorcières de jadis, aux cheveux roux, flamboyantes comme elle, femmes qui savent la magie et le poids des mots, les secrets de la poésie, la liberté de la littérature, qui soupèsent les maux qu’elles tentent, à leur manière, en alexandrins ou non, de sinon guérir au moins d’apaiser : il suffisait de bien peu alors – un regard, un mot incompris, une suspicion – pour se voir accuser de sorcellerie, de pouvoirs maléfiques, de diableries, et finir sur le bûcher. Moi je prétends que Pestel a de tels pouvoirs : il suffit de se laisser prendre par sa poésie pour guérir des petits bobos de l’âme. Son art est onguent, est calmant : c’est fou comme le beau et l’usage du beau peuvent faire du bien et pour longtemps je crois. Vraiment, l’idée d’une Pestel sorcière, ensorceleuse, envoûteuse, diseuse de bonne aventure, gorgone même, me satisfait. Fier d’en connaître une, d’avoir un peu de son amitié, recueillir sa confiance.
Sa pratique n’est autre que de chanter ces mots qui nous interpellent, nous questionnent, nous séduisent, nous bouleversent, qui re-nuancent nos existences. L’élégance de ses vers, leur pertinence, leur sens, leur richesse sont la politesse de l’artiste. Une richesse alliée à leur paradoxale simplicité même si la rime est audacieuse et le verbe recherché.
Faut-il dire encore que Véronique Pestel est une possible définition du bonheur ?
Le site de Véronique Pestel, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
L’intégrale du Pest-Of l’an passé à L’Esprit Frappeur de Lutry :
Je préfère « La vie va rag » et « Intérieur avec vue », sans oublier le premier (et le seul) 45 tours et ses deux merveilles « Mea culpa » et « L’aide ménagère », mais vous avez raison : Véronique Pestel est l’un des géants de la chanson actuelle et elle a toujours été scandaleusement ignorée et donc dissimulée au grand public. Que son site internet compte dans les 700 abonnés en dit long sur la façon dont ceux qui façonnent la société ignorent ce qu’est la poésie, sachant que les produits commerciaux diffusés à longueur de FM comptent leurs bénéfices en millions de consommateurs lobotomisés. « Paroles et musique », puis « Chorus » ne cessaient déjà de dénoncer l’obscurantisme volontaire des médias en matière de chanson, et les choses n’ont fait qu’empirer depuis. Au point que je me dis parfois que le point de non retour est atteint. Heureusement, il suffit d’écouter une chanson de Véronique Pestel (et de quelques autres) pour faire renaître l’espoir que l’amour du beau ne mourra jamais.