Et pis Phanee…
Bertrix, Centre culturel, 13 octobre 2023
Bertrix fait partie de ces bourgades situées dans ce lieu approximatif que l’on surnomme élégamment « le trou du cul de la Belgique ». En clair, une petite cité des Ardennes que tout natif d’une grande ville ne manquera pas de moquer et de dénigrer. Les habitants du cru sont d’ailleurs surnommés les « baudets », c’est dire !
Quelle ne fut donc pas ma surprise, après 1h30 de route accomplie en pestant (cela va de soi !), de découvrir que cette charmante localité dispose d’un épatant Centre culturel, à l’allure neuve malgré ses presque dix ans d’existence, fréquenté par un public nombreux venu en confiance applaudir une chanteuse suisse quasi inconnue sous les cieux si bas du plat pays. Ouf !, Phanee de Pool ne va donc pas chanter ce soir devant une trentaine de personnes, comme je l’avais craint, mais dans une belle salle bien remplie et ouverte à la découverte. Coup de chapeau à cette équipe qui ose et à ce public curieux.
Pour Phanee, ce concert recèle une part d’inconnu. C’est en effet la première fois qu’elle interprète son nouveau spectacle dans sa formule en solo. Elle a certes fêté la semaine précédente la sortie de son nouveau disque, AlgorYthme, par deux concerts archi-complets en Suisse, mais elle y était entourée de six musiciens. Elle a donc un peu le trac, nous avouera-t-elle, qui la pousse à bavarder encore plus que d’habitude, histoire de procrastiner le début de ses chansons.
Lorsque nous pénétrons dans la salle, une douce et sautillante musique électro nous fait patienter en bruit de fond, entrecoupée de cris d’enfants ou de bruits saugrenus. Sur le plateau, des claviers-synthés et une guitare attendent l’artiste, tandis qu’en fond de scène, 3 écrans servent de support à diverses projections (des yeux semblables à ceux qui ornent la pochette de l’album, des images de squelettes, le nom de la chanteuse dans sa typo particulière…). On devine d’emblée que le concert qui nous attend sera original et très élaboré.
Le noir se fait et dans un brouillard de fumigènes et sous des applaudissements enregistrés, voici qu’apparaît la vedette, dans son habituelle veste à gros boutons rappelant les dompteurs au cirque. Et d’ouvrir le concert avec la chanson qui donne (presque) son titre à son disque, Algorithme. Un morceau angoissant, où la chanteuse se glisse dans la peau de ces programmes qui savent tout de nous et guident nos choix sans même que nous en soyons conscients (« Tu me laisses guider ton esprit jusqu’à décider de tes choix / Je suis l’oiseau qui a fait son nid dans le prolongement de ta main / Tu me nourris de tes clichés sans même capter que je t’espionne »). Le flow de la chanteuse est impressionnant, sa diction impeccable et son sourire contagieux. L’intelligence artificielle qu’elle vient ainsi de sévèrement brocarder va-t-elle s’en relever ? Toujours est-il que celle-ci se réveille et s’insurge, alors qu’apparaît sur un des écrans un gros œil qui apostrophe la chanteuse. S’engage alors un dialogue entre l’artiste et la machine…
Nous n’en dirons pas davantage pour ne pas gâcher le plaisir des futurs spectateurs. Sachez juste que le combat verbal dure toute la soirée, entrecoupant les chansons que Phanee de Pool nous interprète sur bande-son ou en s’accompagnant de ses instruments. Une lutte qui déclenche les rires, quand la machine nous dévoile l’intimité de la chanteuse ou décide de lui trouver l’âme-sœur dans la salle, et n’exclut pourtant pas la réflexion. Qui gagne à la fin ? Suspense…
Notre suisse préférée nous offre donc un spectacle total, mêlant musique et théâtre, où chaque chanson s’enchaîne logiquement jusqu’au bouquet final. C’est rutilant d’intelligence et savoureux de plaisir. Certes, cette mise en scène rigoureuse bride un peu la spontanéité de la chanteuse et empêche probablement le public de se manifester avec toute la véhémence souhaitable. Nul doute cependant qu’après l’inévitable petite période de rodage, le talent et l’énergie de l’artiste pourront s’exprimer en toute liberté et que nous approcherons à grands pas du nirvana de la perfection.
« Un secret n’est bien gardé que lorsqu’il est tu », nous chante Phanee de Pool. Faisons en sorte que son talent ne soit pas réservé qu’aux initiés. La tournée ne fait que commencer, il ne tient qu’à nous qu’elle se transforme en triomphe.
Pour les Parisiens, Phanee de Pool joue le 8 novembre 2023 au Théâtre de l’Archipel. Elle y repassera un jour par mois par la suite.
Le site de Phanee de Pool, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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