Alexis HK : l’armoire à bobos
Grand luxe, la chanson a deux HK, aux univers pour le moins différents. Voici aujourd’hui Alexis HK, opus 6. Par les thèmes abordés, par sa prestance pour ne pas dire son élégance, l’extrême raffinement de sa diction, l’étendue de son vocable, il est à lui seul une niche. Pas slam, comme on lui a souvent et à tort collé l’étiquette (on aime code-barrer les artistes, ça donne l’impression de bien gérer le cheptel) même si « J’attrape un style / Dérobé aux anciens / Un ragadub sénile / Sur une base de vaurien ». Non, Alexis HK est vraiment à part, et fait rimer cette part(ition) avec soin. C’est l’exquis raffinement de connaisseurs, le menu de choix de gourmets du mot et de la rime, l’appartenance à une autre classe. Un bobo dans une chanson populaire qui, on s’en doute, ne sera jamais populeuse.
Ce nouvel album se nomme Bobo playground : c’est agréable pour le critique quand rien que le titre de l’opus le résume à sa place, un peu vexant toutefois quand c’est si bien dit et qu’on n’aurait pas trouvé mieux. De l’intérieur comme de l’extérieur, Alexis HK explore sa condition, sa classe sociale. Autoportrait non sans distance, avec humour et grâce, de son statut de bobo : « Y a-t-il des bobos parmi nous / Qu’ont le socio-style d’une blessure au genou ? / Qui défendent Mère Nature contre ceux / Qui la défroquent / Avec un combi diesel et des Birkenstock », « Le confort sur mesure choisi sur catalogue / Dont on parle entre amis collapsologues »… Les Bobos chantés naguère par Renaud sont de loin surpassés. Et, dès les visuels du CD qui se déplie comme une armoire, dont tous les onguents, cachets et sirop appellent les Mieux (idéal, émotion, plaisir, talent, beauté…). Et le mieux-disant, il va de soi quand on est HK.
États d’âme, états d’être, étal de situations, de générations aussi, de postures et d’impostures, de rêve nul, ce disque est collection et collector à la fois, régal à partager entre gens de classe qui en ont. Bien vu : à l’écoute, se rehaussant du coup du col, on s’imagine en faire partie. Une heure, rien qu’une heure seulement, être beau et bobo à la fois… Convenons que le terrain de jeu que nous propose cet obsédé textuel est séduisant : à chaque écoute, d’autres facettes se font jour, même la nuit. Séduisant et lumineux, aux antipodes de son Comme un ours d’il y a quatre ans, sombre comme l’antre de l’ursidé.
Notons la reprise bienvenue car surprenante (ceci dit, peut-on encore être totalement surpris d’Alexis HK ?), le Partenaire particulier du groupe éponyme, insubmersible tube des années quatre-vingt, en une insolite version solo d’un rythme tout autre, lent et lancinant.
Ce sixième opus est, une fois encore un grand cru. Qui eut cru le contraire ? Adoptez-le.
Alexis HK, Bobo playground, La Familia/L’Autre distribution 2022. Le site d’Alexis HK, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
En concert le 14 octobre 2022 à Rumilly, Attention les Feuilles ; le 18 à Fontenay aux Roses ; le 20 à Nantes ; le 16 novembre au Havre ; le 17 à Bayeux ; le 18 à La Flèche ; le 19 à Redon; le 22 à Toulouse ; le 3 décembre à Reims, Charabia Festival. Et le 25 janvier 2023 à l’Olympia, autres dates sur son site.
MICHEL KEMPER
Entretien exclusif
« Ma vie actuelle ressemble à une chanson de Brassens »
Propos recueillis par Robert Migliorini
Bobo Playground, votre nouvel album quatre ans après le précédent (Comme un ours) apparait moins grave. Vous confirmez ?
Je dirais plus ludique. Comme l’indique le mot Playground, pour définir un terrain de jeux. Cela dit, mes chansons n’entrent pas dans la catégorie du divertissement ; pour moi une chanson doit faire rire ou pleurer. Je n’aime pas les entre deux. Dans cette ligne mes albums proposent un point de vue. Sans trop se prendre au sérieux mais non sans gravité. Celle que nous traversons donne matière à écrire et chanter. Les périodes les plus difficiles sont souvent synonymes de profonds bouleversements et nécessaires remises en questions. Curieusement les périodes prospères ne sont pas les plus fructueuses. Mon point de vue illustre ce propos : il ne faut jamais désespérer. Pour autant je ne parlerais pas d’optimisme.
Ce qu’illustre le grand écart entre le premier titre, Bobo Playground, et le tout dernier évoquant la condition des sdf dans nos villes de lumière ?
Je ne suis pas sociologue façon Pierre Bourdieu mais artiste. Celui qui tente de saisir l’air du temps. J’aime m’adresser aux gens et évoquer le présent de certaines et certains. Comme la chanson sur les mamans qui élèvent seules leurs enfants. Cet album déroule aussi mes étonnements. J’aime qu’une chanson souligne une contradiction, une situation quasi impossible au départ. Comme lorsque j’imagine qu’un Donald Trump repenti change totalement sa vision du monde et s’excuse pour son triste passé ! L’album a été écrit pendant les deux principales périodes de confinements. Des séquences différentes l’une de l’autre. J’ai réuni tout ce que j’avais écrit durant ce temps et consulté mon équipe avec laquelle je travaille. Ensuite nous avons attendu que le monde s’ouvre de nouveau et ainsi remonter le moral de tout le monde. Avec le bonheur de retrouver la scène.
Le fait de ne plus vivre à Paris favorise votre regard décalé ?
Je viens souvent à Paris mais j’ai choisi depuis 2008 de vivre dans la région nantaise. Avec la crainte parfois du fait de la distance vis-à-vis de la capitale (relative tout de même) que le monde tournerait sans nous les provinciaux. Et qu’alors seul mon banquier se souviendrait de moi. Qu’on se rassure, ce relatif isolement m’inspire toujours de nouvelles chansons.
Vous vous situez dans le sillage d’un Georges Brassens à qui vous avez consacré un album et un spectacle.
Je lui dois tant. Comme d’autres artistes. Je voulais partager ce qui me rattachait à lui. Cela crée des liens. Ma vie actuelle ressemble à une chanson de Brassens. Auprès de la nature, avec un foyer, un chien, un chat, une équipe musicale au diapason et beaucoup de chance. Il est vrai que j’ai choisi la carrière d’auteur compositeur et interprète après avoir été tenté par la philosophie. Je me souviens que lors du premier cours universitaire un homme d’un certain âge était dans la salle. Je me suis dit alors qu’il me faudrait d’abord connaître le vaste monde et avoir beaucoup vécu, avant de prétendre à philosopher. Je poursuis le tour du cadran avant d’en arriver à ce stade de sagesse. En approfondissant mon regard, celui du poète, un peu rêveur, dans la lune. Sous le label chanson française.
Dans votre album vous évoquez un rappeur. Vous changeriez de registre ?
Pas vraiment. J’aime écouter du rap. Dans la chanson en question j’imagine un vieux rappeur en Ehpad qui s’adresse à des jeunes talents. Il leur rappelle que le rap n’est pas né d’aujourd’hui avec eux et qu’ils s’inscrivent dans une continuité. Je viens de la chanson française mais nous faisons tous de la chanson dès lors que nous aimons les mots. Cela dit, je me méfie des étiquettes. En musique comme dans d’autres secteurs. Je suis donc un vétéran qui poursuit sa route. Heureux du renouvellement des générations. Dans une société qui affiche nombre de frustrations sinon de colères je ne désespère pas de la suite. J’ai la conviction que derrière la forêt des soucis et des problèmes se cache un bel arbre. Comme dans les chansons.
Rétrolien Lundi 21 novembre 2022 | La vie en rose