Bühler à sang pour sang
On sait qu’il ne se produira plus en scène, il l’a dit, c’est ainsi. Allait-il pour autant buller, not’ Bühler ? Que nenni, pour nous consoler, voici un nouvel album, son 21e, et c’est déjà ça, c’est bien plus que ça. Du pur Bühler, d’un artiste qui observe, s’indigne et tire à vue. Dans sa cartouchière, y a quatorze nouvelles chansons. Pas des balles à blanc, non : du rouge !
On le sait, notre Helvète voit rouge et fustige à nouveau les puissants qui organisent le malheur du monde « pour se payer des yachts et des pétasses qui vont avec ».
Je nuance. La pharmacopée L’art de Bühler procède d’un savant équilibre, d’une posologie chaque fois respectée. Il y a effectivement les sujets qui l’énervent et dont il fait des chansons. Et ces élans d’empathie et d’infinie tendresse « C’est pas parc’ qu’un mec s’est tiré / Manuella / Qu’il faut t’effondrer / Plus bouger rester là… »
Et ces gens, petites gens, « peu de prix Nobel, peu de winners au mètre carré […] N’empêche que c’est du monde, du vrai », ces laveurs de vitres et frotteurs de trottoirs, ces ignorés de tout : ces gens-là depuis toujours peuplent les chansons de Bühler, aussi sûrement qu’ils peuplent celles de son copain Vigneault.
Ici, tout est Bühler, tant que rien ne surprend tout à fait en ce disque : nous y avons nos repères, pépères. Mais justement c’est tout Bühler, qu’on aime, que même on en redemande : c’est pas à son âge antédiluvien qu’il va changer de répertoire, tenter de séduire les programmateurs amputés du bulbe, faire le tapin à The Voice. Tant qu’il aura de la voix il chantera pour dénoncer ce monde et, en creux, le réenchanter.
Comme beaucoup d’albums qui sortent des temps-ci, le Covid et son corollaire le confinement sont présents, difficile qu’il était pour notre chroniqueur de l’oublier : « Mais que longue est l’attente / Dans ce printemps gâché / Les journées passent lentes / Et chacun des baisers / Qu’on n’a pas pu donner / Est perdu à jamais ». Ça nous fait aussi cette autre chanson enjouée, telle une fable un tantinet cruelle : « Un tout p’tit virus, riquiqui minus / A peine un pet de travers / Il en faut pas plus pour qu’on l’ait dans l’anus / Et qu’on se r’trouve le cul par terre »
Commémore-t-il ainsi les 150 ans de La Commune, toujours est-il que Michel Bühler évoque ce « sang chaud, qui coule dans nos veines » et c’est bien cette veine révolutionnaire qu’exempt de toute neutralité notre Suisse explore. « Rouge est la couleur du sang / Sur nos drapeaux de misère ». Car l’album se nomme ainsi : « Rouge est la couleur de feu / Qui sous la cendre sommeille / Suffit d’un souffle amoureux / Pour que les braises s’éveillent ».
Voilà, c’est son vingt-et-une-ième, qu’on vous recommande. Sans blague, on attend déjà le suivant ; prudent, j’ai déjà mon titre : 22, v’là l’Bühler !
Michel Bühler, Rouge, EPM 2021. Le site de Michel Bühler, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Les textes de Michel BÜhler reproduits ici, sur la crise actuelle, ont un avantage : ils ne risquent pas la censure qui sévit de partout.
On est très loin par exemple de l’engagement de Mysa avec sa « Dystopie 19″.
Cela dit, je m’empresse d’ajouter que ça n’enlève rien à l’admiration que je porte à Michel pour l’ensemble de son oeuvre.