Samuel Bobin, s’enlacer sans se lasser
Un disque entièrement consacré à l’amour en action, mon Dieu mais ce n’est pas possible ! Je parle bien de l’acte sexuel, même s’il n’est jamais fait mention du mot sexe. Quoi ! « c’est un peu court, jeune homme ! / On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme », comme dirait notre cher Edmond Rostand. Et Dieu (encore lui ? ) sait si Samuel Bobin sait en dire des choses. Plus variées, tout au moins sur le sujet sur lequel ( laquelle) il s’allonge, que bien de nos rapeurs actuels souvent limités dans leur vocabulaire amoureux. Pensez ! Il y a tant de façons de le faire, encore plus de le dire, sans jamais se répéter. Je pensais tenter de dénombrer le nombre de mots pour désigner l’objet du délit, qu’il soit masculin ou féminin, mais je vous suggère plutôt d’en faire un jeu de confinement, réservé aux plus de seize ans non parce qu’ils pourraient en être choqués, mais pour qu’ils aient suffisamment d’expérience et de culture pour en trouver plus d’un. Comptez une bonne trentaine avec un net avantage au féminin, de la fleur de Casamance au seuil du nymphéa, de la perle saline à la nasse, et pour les messieurs, le galion gallois ou le tuba des meccanos ont retenu toute notre attention.
Même Brassens peut aller se rhabiller, quant à Apollinaire dont j’avais beaucoup apprécié les poèmes érotiques – ne parlons-pas des Onze mille verges où l’érotisme exponentiel a vite fait de devenir nécrophilement pornographique – mais des poèmes dédiés à ses amoureuses, j’ai eu la déception de m’apercevoir qu’il écrivait à Madeleine la même chose qu’à Lou… Est-ce, malgré cette petite restriction, le poète franco-polonais, lors du spectacle Et l’acier s’envole aussi où Samuel était tout autant comédien que batteur et bruitiste, qui lui a donné tant d’inspiration ? Sont-ce des flots d’écritures trop longtemps retenus lors de sa déjà belle carrière de musicien, juste effleurés dans quelques poèmes érotiques pour sa douce, sa Choute, illustrés en alphabet Kama-sutresque?
Toujours est-il que nous admirons là une imagination fertilement poétique pour nommer et renommer le blason de ces dames, leurs collines, leurs enclos, leurs vallées et tous leurs alentours, leurs torrents, leurs mers et leurs océans, tout autant que le fier gouvernail de ces messieurs. Rassurez les oreilles et les âmes sensibles, nulle vulgarité dans cet opus de tendresse vive : juste un amour de l’amour, un amour des mots, du verbe, de l’expression poétique que ne se limite pas aux organes procréatifs, mais à tous les esprits enflammés, aux sentiments – la nostalgie : « Et tourniez la grand roue / du moulin des saisons », la séparation, la jalousie (L’Anjalousie qui donne lieu à de nombreux jeux de mots, très Boby-Lapointesques sur les villes espagnoles), le manque « ma fin du monde » ou l’addiction : « Mais elle me cloute au lit de la tête aux orteils » ou « Le feu (…) siège à longueur de journées / Dans ma cage thoracique sans laisser d’intermède ».
Admirez la métaphore filée, après une distanciation refusée opposant Méditerranée et Capitale : « Dis-moi comment fait-on déjà / Pour éponger l’eau sur le pont / Comment décrocher l’hameçon / Reconvoquer la baraka» – Ah ! Qu’en termes élégants ces choses là sont dites, pour paraphraser Molière ! Car toutes les phrases ont sens multiple, et l’on ne peut lever le coin du voile qu’à l’écoute, voire à la lecture répétée. Ce que je vous conseille de toutes façons tant la réception, même la première, en est agréable. Indice : ce Bassin méditerranéen est tout autant le pays de solitude de l’amant délaissé que le lieu de tous les plaisirs, masculin dans cette chanson, comme on ne s’y attend pas, s’il peut être féminin sur d’autres titres.
Il serait fastidieux de vous énumérer toutes les trouvailles lyriques de Samuel. Sachez qu’il manie aussi bien la métaphore marine, qui remporte, si j’ose dire, la palme, qu’animale, où coquillages, reptiles et batraciens se partagent les éléments avec un cétacé « Toi qui harponna plus d’une fois / Mon simple cœur de cachalot » ou un drôle d’oiseau « qui roucoule / Ton delta le fait gésir / Quand il mouille et s’éclabousse / Dès que j’agite mon pouce », ou encore « Mes ailes sont ouvertes et l’amour pèlerine ». Jusqu’aux plantes qui m’ont fait penser à Vian : « « M’a poussé dans le cœur une plante aquatique (…) L’arroser en devient un besoin climatique ».
Comme Samuel est un musicien accompli (c’est le fondateur et batteur du groupe Poum Tchack), qu’il est entouré d’un grand band de musiciens de jazz tout autant talentueux, l’album est aussi un merveilleux univers jazz-rock mélodique. Citons Franck Lamiot aux pianos, claviers, arrangements, Stéphane Bouba Lopez à la basse et à la contrebasse, Anne Gambini au violoncelle, Jean-Philip Steverlynck au violon, Ben Châa Abbas aux percussions, Cathy Heiting notre réputée chanteuse lyrique et de jazz provençale aux chœurs, avec plusieurs instruments à vent, un xylorimba, des guitares, une contrebasse et un violon additionnels, et Eric Petit aux arrangements, son, mixage et mastering avec Franck Lamiot. Se côtoient des ambiances swing, manouches, latines ou tropicales (Bestiaire, Le Marabout où l’ambiance et la voix douce de Sam font vraiment penser à Vassiliu) et extrême orientales (écoutez Le temps n’existe plus [Chez ma Choute] et son virage rock), un délicieux voyage musical dans l’espace et dans le temps.
Un album dont vous n’êtes pas prêts de vous lasser, qui risque même de vous inciter à vous enlacer malgré les consignes de distanciation. A défaut, il pourra alimenter de tendres fantasmes qui ne peuvent être interdits par aucune autorité.
Samuel Bobin, Combustion spontanée, Inouïe distribution (2020)
Le site de Samuel Bobin, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Le 14 février 2020, après une résidence, Samuel Bobin, présentait son album au Petit-Duc à Aix-en-Provence avec ses musiciens, à guichet fermé, à l’occasion de la Saint-Valentin.
Si cette fille, en concert au Petit Duc
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