Chronique du confinement : renvoyer la censure ?
Souvenez-vous, ils nous avaient déjà fait le coup avec les attentats du 11 septembre. Ils ? Appelons—les le « comité de bienséance », histoire de ne pas galvauder le terme de « censeurs ». Des petits bras qui estiment sans doute que nous ne sommes pas assez intelligents pour faire la part entre la réalité et la poésie. Ce sont eux qui, en 2001, avaient banni des ondes des radios nationales toutes les chansons qui pouvaient évoquer, de près ou de loin, le drame survenu aux États-Unis. La liste tenait de l’inventaire à la Prévert : L’hôtesse de l’air de Dutronc, Tombé du ciel d’Higelin, New York avec toi de Téléphone, Comme un avion sans aile de Couture, Le grand incendie de Noir Désir…
Près de 20 ans plus tard, nous pensions que cette édulcoration politiquement correcte relevait définitivement de l’histoire ancienne. A l’heure des réseaux sociaux permettant à tout un chacun d’écouter ce qu’il veut à tout moment, à quoi rimerait une telle modération ? Nous nous trompions. La couleur sépia si bien chantée par Vincent Delerm continue visiblement à recouvrir les murs de Radio France.
Il nous revient en effet qu’un Conseil d’écoute, présidé par le professeur Wally Derli, éminent sémiologue à la Sorbonne, s’est penché sur les playlists en vigueur, aux fins de les expurger de tout air susceptible de miner le moral des auditeurs, déjà terriblement affecté par le confinement forcé. Interdiction dès lors que soient encore diffusées des chansons appelant à quitter son domicile, à se réunir pour faire la fête, à se regrouper ou à voyager… Des exemples ? On the road again, de Bernard Lavilliers, avec ces paroles provocatrices (Nous étions jeunes et larges d’épaules / On attendait que la mort nous frôle) qu’on ne saurait supporter désormais. A bicyclette, d’Yves Montand ? A bannir pour cette incitation folle à se promener hors du fameux rayon d’un kilomètre autour de son domicile (Quand on partait de bon matin /Quand on partait sur les chemins), et en groupe de surcroît (Nous étions quelques bons copains / Y’avait Fernand y’avait Firmin / Y’avait Francis et Sébastien / Et puis Paulette) ! Florent Pagny (Sur la route, je trace, je trace) et Gérald De Palmas (J’étais sur la route toute la sainte journée), quant à eux, ne sont plus admis à quitter leur chez-soi sans l’attestation ad hoc, tandis que Charles Trenet lui-même est prié de désormais trouver son bonheur ailleurs que sur les chemins : non, nous n’avons plus le droit d’être heureux Nationale 7 !!!
A l’inverse, un certain nombre de titres sont données en exemple et les programmateurs invités à les diffuser sans retenue : La maison du bonheur de Francis Lalanne, Il voyage en solitaire de Gérard Manset, Chez moi de Serge Lama, Ma maison de rêve des Frères Jacques… Mention particulière pour la chanson de Camelia Jordana, Non non non (Ecouter Barbara), que chacun devrait entonner à en perdre la voix : « Non, non, non, non / Je ne veux pas prendre l’air / Non, non, non, non / Je ne veux pas boire un verre / Non, je ne veux pas faire un tour / À quoi ça sert de faire un tour? ». Un très bel exemple de chanson civique et responsable.
A noter que le rapport du Comité d’écoute n’a pu trancher le cas délicat de la chanson de Patrick Sébastien, Les sardines. En effet, si le refrain est un hymne à même de rassembler les gens autour d’une réalité décrite avec humour (Ha! Qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boîte / Chantent les sardines, chantent les sardines), les couplets sont par contre dangereusement subversifs (Alors on se rassemble, à 5, ou 6, ou 7 / Et puis on saute ensemble en chantant à tue tête). Libre choix est donc laissé aux programmateurs.
Le Professeur Wally Derli (photo ci-contre) préconise en outre que les artistes soutiennent cet effort et, tant que faire se peut, modifient les textes de leurs chansons afin d’inciter leur public à la plus élémentaire prudence. Il cite à cet égard l’exemple américain, qui a vu un collectif d’artistes enregistrer une nouvelle version de la chanson de Lou Reed, désormais intitulée « Take a walk to the safe side », ou le chanteur helvétique Pascal Rinaldi, qui a très opportunément changé sa chanson « Il faut qu’on se touche » en « Faut plus qu’on s’touche ».
Cet appel n’est pas resté vain. En effet, Jean-Jacques Goldman lui-même, peu satisfait de son hommage au personnel soignant, écrit à la va-vite et indigne de son talent, s’est remis au travail. Toujours sur l’air de « Il changeait la vie », le chanteur nous livrera bientôt sa nouvelle vision. En exclusivité, voici les paroles du premier couplet :
C’était un gars tranquille, qui aimait bien marcher
Trotter, courir, sauter, un fana du jogging
Il ne faisait que ça, à longueur de journée
Dans les bois, dans la rue, et même dans les parkings
Mais tout ça, c’est fini, faut être raisonnable
Vaut mieux rester chez soi, les deux pieds sous la table
Maintenant il a pigé, maintenant il a compris
Qu’il doit être prudent, que la vie n’a pas d’ prix
Il a changé d’avis
Sur les réseaux sociaux, la Compagnie créole, de son côté, a déjà mis à la disposition de tous son vibrant éloge des infirmières :
En salle, en salle, masquée, ohé, ohé
Elle soigne, elle soigne, elle soigne en salle masquée
Elle ne peut pas s’arrêter, ohé, ohé
De soigner, soigner, soigner en salle masquée
Enfin, Romain Didier a promis de nous offrir prochainement, sur l’air de son fameux S.D.F, une version en accord avec l’actualité :
De mon balcon, con, con
J’crie à ma fille, fi, fi
A mon aînée, né, né
Confiné
Joue pas au con, con con
Reviens Sophie, fi fi
Faut pas traîner, né, né
Confiné
Dans mon cocon, con, con
Y’a du wifi, fi, fi
Viens l’étrenner, né, né
Confiné
Que penser de telles mesures et de telles actions ? La crise du Coronavirus que nous traversons est inédite et nous impose certes de sortir des sentiers battus. L’indiscipline dont certains continuent de faire preuve, négligeant toutes les consignes de sécurité et mettant leur vie et celle des autres en danger, justifie peut-être que soient serinées sans trêve les consignes de prudence. Quitte à nous infantiliser ? Chacun jugera.
Qu’est ce que j’ai ri ! Mention spéciale à Romain Didier
Idem pour moi, les paroles de Romain, quelle crise de rires !
putain, je n’en croyais pas mes yeux à propos de ce comité de cons éthiques ! rappelez vous qu’en 1991 (guerre du pétrole), la chanson « Quand un soldat » de Francis Lemarque a été interdite comme elle le fut à sa sortie en 1954… il est vrai que la France coloniale venait de subir une défaite de taille à Dien Bien Phu… face à des niaqués ! qui plus est