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François Puyalto, océan de délicatesse

François Puyalto ©Aglaé Bory

François Puyalto ©Aglaé Bory

Puyalto ne fait pas de bruit, il préfère faire de la musique. Il ne fait pas d’éclats, il crée de la lumière. Accompagnant à la basse Bertrand Belin, Jeanne Rochette ou Emily Loizeau, et bientôt Sanseverino, musicien, arrangeur, auteur, les artistes l’apprécient. Il collabore avec Dimoné et Askehoug sur des Figur(e)s Imposé(e)s en référence à Bashung, mêle son répertoire à celui de Thibaud Defever dans un Pas deux pareils. On l’a vu dans un jazz electriklezmer avec les Horse Raddish, dans une fantaisie douce et tendre pour le jeune public (et les autres!) sur les chansons de Dick Annegarn, duo avec Nathalie Ardilliez mêlé de danse et de claquettes : « Ah c’qu’on est bien dans ce jardin ! » Bref il est indispensable.
Après ce premier album,
Le nom des animaux en 2017 en trio rock, dont la tendre folie nous avait tant plu, et un spectacle de reprises, Chansons des uns et des autres, c’est dans une épure en solo – ou presque, puisque Katel se démultiplie pour jouer les chœurs féminins, répondant à la voix douce et enveloppante de François – qu’il nous revient, avec cinq chansons originales et cinq reprises.

Sur la couverture de l’album son visage méditatif se fond dans une ataraxie sépia, nous suggérant d’abandonner le superflu, d’aller à l’essentiel dans une brume de beauté.

C’est dans un océan de tendresse qu’il nous invite, que ce soit dans ses propres créations, nous conviant à « Marcher dans les rues (…) au hasard poser tes paquets ( …) », à chercher « quelqu’un qui serait ton pareil et qui te tiendrait chaud ». Mais aussi dans ces étonnantes réinterprétations. La mémoire et la mer, sur la basse qui pleure : « Mes désirs dès lors ne sont plus / Qu’un chagrin de ma solitude » et « ta blessure (…) ton cul », dits comme caresse, mots doux suspendus, lieux de paradis plutôt que cible à atteindre. Et jamais on n’a si bien entendu : « le sable bêle (…) quand la mer bergère m’appelle ».

PUYALTO François 6 03 2020 _44L’éclusier de Brel, pesant, accablant, portant sur ses épaules tout le poids de la douleur humaine, avec ses R vibrés sur fond d’accordéon dramatique, se fait rythmé, léger, chez Puyalto : « Moitié sorcier / Moitié ivrogne / Je jette un sort / À tout c’qui chante ». Et l’enfant louche paraît bien à l’abri quand Maman ronronne. Le drame reste présent, suggéré, avec cette hésitation, plusieurs fois, sur le mot noyé, et les cordes de la basse jouent le glas. L’émotion naît ici de ces contrastes et de cette retenue mieux encore que de la tragédie. Sur ce, Aller jouer dehors s’enchaîne plein de fantaisie, avec des accents qui font penser à Yves Montand. Mais cette chanson protectrice, qui répond au précédent couplet de l’enfant restant à l’abri près du feu, s’adresse à une femme que l’on souhaite rester tendrement prisonnière. Un exquis côté sulfureux (ah les friselis des cordes…) : « Là-bas dans l’océan / Où les poissons sont méchants / Et mordraient tes jolies petites fe-esses / Tu seras mieux au chaud / Lovée entre mes bras ». Dans Petite, on retrouve un père inquiet pour sa fille qui devient adulte. Ce qui ne l’empêche pas de défendre la femme libre, jadis et maintenant traitée comme sorcière, d’Ève à la Faiseuse d’anges, contrainte, soumise, martyrisée. « Toi, la nounou des hommes, qui berce et qui raisonne », mais dont la lutte semble vaine, « T’as beau nager à t’arracher / Ce fleuve est habité par les hommes ».

Puyalto a du goût, de l’élégance, de la subtilité : de Leprest il a choisi Arrose les fleurs, d’Higelin Sa dernière cigarette, un inédit de 1970 (1) d’une fulgurante tendresse, où là encore la basse se substitue avec bonheur à l’accordéon déchirant, et de Barbara Dis quand reviendras-tu. Désireux de reprendre telle qu’écrite une chanson de femme, il la renouvelle de sa voix, de ses silences entre les mots, parfaitement fidèle et pourtant si personnel.

Le génie de cet album tient dans son art de la nuance, des contrastes, des effets de surprise qu’il nous distille doucement. Ecoutez-le, et vous en ferez votre album de chevet, votre bonheur du jour, ou de la nuit, comme il vous plaira, mais s’il vous accompagne, vous n’êtes pas près de l’oublier.

(1) paru finalement en 1980


François Puyalto,
« 44 », Le Furieux (2020). Le site de François Puyalto, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.

L’album est sorti le 6 mars, en concert Chez Thénardier à Montreuil les 4, 11, 18 et 25 mars 2020 avec des invités (le 18 Gumtak, le 25 Cabane perchée), autres dates sur son site.

Faiseuse d’anges
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