Yves Duteil, une chanson juste
30 novembre 2019, Théâtre du Forum/Maison de la Commune, Feurs (42),
Le temps qu’il faut pour le dire, l’annoncer, la salle était prise d’assaut et l’association Scènes en Forez a dû faire une deuxième représentation. Elle aurait pu même en envisager une troisième… Deux salles bondées, donc. On sent que le plupart du public n’est pas coutumier d’un tel événement, n’en possède pas forcément tous les codes. Mais on est là, pour avoir vu, de ses yeux vu, celui qui chante Prendre un enfant… Il la chantera, forcément.
Un chanteur, tantôt au piano tantôt à la guitare. Et un violoncelliste, mais pas tout le temps, pas sur tous les titres : on le regrette, tant Philippe Nadal renforce chaque chanson, la magnifie de son art, de son archet.
Pas de mise en scène, pas d’effets, pas de lights pour l’épate ; ici juste un chanteur et son répertoire. Nous sommes dans l’épure de la chanson, presque à sa source.
Ceux qui s’attendent à un best-off des succès des débuts de Duteil seront forcément déçus. Certes Prendre un enfant, certes La langue de chez nous (« C’est une langue belle à qui sait la défendre… »), mais c’est à peu près tout. Ni Tarentelle ni Petit pont de bois qui, depuis le temps, doit être vermoulu. C’est tant mieux. Duteil a tant à nous dire d’autre, à nous chanter.
C’est au piano qu’il débute ce récital en racontant, un peu à la manière d’un Romain Didier, l’histoire de son instrument : « Aujourd’hui j’ai envie de franchir le miroir / D’allumer des bougies / Pour éclairer l’histoire / Écouter dans la nuit / Sous l’ébène et l’ivoire / Les morceaux de nos vies / Retrouver la mémoire ». C’est ce qu’il va faire, avec la tendresse et l’humanisme qui le caractérisent. Regards sur des gens, proches ou inconnus, des tranches de vies fixées par l’Histoire, d’autres intemporelles. Et d’abord ce titre on ne peut plus touchant, qui regarde Le mur de la prison d’en face… Par touches, par ci par là, il nous chantera les exclus, prenant parfois une partie de son public à rebrousse-poil (on le sent alors à la force des applaudissements, de l’approbation donc), comme avec cet autre titre, au demeurant magnifique, sur ces victimes collatérales des attentats que sont les musulmans de France, Mohamed, Aïcha, Karim ou Fatima… : « En arrosant d’amour la terre et les racines / Vous êtes dans nos cœurs / A jamais jour et nuit / Et j’ai mal de vos pleurs / Sous les peurs d’aujourd’hui… » Yves Duteil est ainsi, pétri d’amour, de tolérance et de respect. Il n’est pas là en star, à débiter ses tubes : il poursuit humblement sa tâche d’humaniste. Dans ce monde que gagne chaque jour plus encore la folie, lui a choisi son combat, celui de la dignité : « Face aux pluies de feu et de sang / J’ai choisi d’être résistant / Les drapeaux blancs / Les drapeaux noirs / De la musique et de l’espoir ».
Qu’il nous chante son ami apiculteur corse (La légende des immortelles), son beau-père (Passeur de lumière), son ancêtre Dreyfus que jadis une conspiration envoya au Diable, qu’il chante sa femme son amour, l’Argentine sur un air de bossa-nova, il est toujours au plus juste des notes et des mots, d’une émotion qui n’est en rien un artifice. Toujours « Le désir de rester humain / D’inverser le cours du chagrin ».
Tant que, dans un message audible et mélodique, des artistes comme Yves Duteil tenteront de chanter « pour les enfants du monde entier », nous pourrons garder un peu d’espoir. Si Duteil ne semble plus intéresser les grands médias, il continue avec bonheur, avec honneur, d’essaimer, de planter ses petits graines de tolérance. Respect !
Le blog d’Yves Duteil, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Voir toutes les photos de Vincent Capraro, c’est là.
L’autre grand événement Chanson de la saison de Scènes en Forez sera le concert d’Yves Jamait le 4 avril 2020. Il reste quelques places : dépêchez-vous.
Bravo pour ce bel article, cher Michel, juste, nuancé, intelligent et sensible ! « En regardant le mur de la prison d’en face » est, en effet, une chanson particulièrement réussie qui m’a toujours ému…
Merci, Michel, pour ce bel article pertinent hommage à Yves Duteil.
L’artiste et l’homme le méritent amplement. Le talent, l’humilité, la gentillesse et une profonde humanité caractérisent Yves Duteil.
Et s’il n’est en effet plus très en cour dans les médias « officiels », c’est qu’il se fiche pas mal de l’air du temps.
Il demeure dans le coeur d’un vaste public depuis si longtemps… vous avez pu le vérifier.
Au bout du compte, une sacrée carrière …