Michel Legrand, 1932-2019

La presse est friande de phrases définitives dont elle aime rivaliser à la mort des artistes : « c’était le dernier des géants », « c’était le plus grand », que sais-je encore. Qu’elle se contente cette fois de dire simplement « c’était Legrand ». Sans mal, Michel Legrand a bercé un peu beaucoup toutes nos vies, toujours se rappelant à nous par une chanson ou une musique à la radio, au temps il n’y avait pas beaucoup de stations et que tous les artistes qui y passaient étaient notre bain, notre bien communs. A la radio donc, au cinéma aussi, dans un style inimitable, qu’il soit chanteur, ou simplement parolier et compositeur. Il y a un style Legrand, un ADN inimitable : tous les faussaires s’y sont cassé les dents.

Sa propre production chanson ne caracole sans doute pas au panthéon des très grandes chansons mais il suffit d’entendre Les moulins de mon cœur, Brûl’ pas tes doigts ou Quand ça balance pour reprendre le fil d’un plaisir retrouvé.

Si Legrand fut chanteur, certes, ce n’est pas à ce titre qu’il s’est imposé. Mais comme musicien (son dernier album remonte à 2017, Between Yesterday and Tomorrow, avec Natalie Dessay), plus particulièrement de jazz (dès 1958, il enregistre – grand honneur et gigantesque culot de la part du jeune musicien qu’il est, avec Miles Davis, Bill Evans, Paul Chambers et John Coltrane).

Signalons ce remarquable coffret paru récemment chez Decca/Universal : 5 CD pour un même film. La bande originale, chansons incluses donc, la version instrumentale, les séances de travail, maquettes et intégralité des play-backs, les reprises et remectures aussi, par des comme Yuri Buenaventura, Natalie Dessay, Bill Evans, Brigitte, Bud Shank, Catherine Michel et d’autres encore. Un ravissement qui n’est pas réservé qu’aux cinéphiles et autres spécialistes.

Signalons aussi ce coffret 15 CD, chez Universal, “Anthology”, composé de 300 titres, 17 heures de musique, inclus livret 72 pages, photos rares et inédites.

C’est aussi par le cinéma qu’il restera longtemps, éternellement en nous (plus de 150 musiques de films, tout de même, avec une pléiade de metteurs en scènes tous plus prestigieux les uns que les autre et des films de pure anthologie : Louis Malle, Orson Welles, Edouard Molinaro, Agnès Varda, Chris Marker, Joseph Losey, Peter Brooks, Jacques Deray, Claude Autant-Lara, Sydney Pollack, Jean-Luc Godard… Et Jacques Demy pour des films musicaux d’exception, tous devenus cultes : Les demoiselles de Rochefort, Les parapluies de Cherbourg, Lola, Peau d’âne (et sa fameuse recette du cake d’amour…) qu’on croit être chantée par Catherine Deneuve à l’écran, etc.

A plusieurs titres, à tous les titres, tous les plaisirs, les raffinements, Legrand fut un géant. Qui, comme accompagnateur ou comme arrangeur, compositeur surtout, a mis aussi son art érudit et populaire à la fois au service de nombre de chanteurs tels que Catherine Sauvage, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Jean Guidoni, Serge Reggiani, Zizi Jeanmaire, Henri Salvador. Et aussi d’Ella Fitzgerald, Franck Sinatra, Sarah Vaughan, Barbra Streisand, Stéphane Grappelli et d’autres encore. Comme on fait don à chaque fois d’un surcroît de talent. La chanson lui doit énormément.