Masdau, langue verte et cœur tendre
S’entêtant dans une posture qui l’éloigne des gens bien et de leur compte en banque, plutôt que d’effectuer un Virage à droite comme ses habiles collègues (1), Masdau préfère risquer de couler par le fond en lançant son appel du haut du mât de misaine : « A gauche toute ». C’est le dessinateur-chantiste Jean Marc Héran qui l’habille en piraterie chansonnesque, foulard vert, panache rouge et tête de mort, avec comme arme sa seule guitare. L’album a un petit côté vintage pour la présentation (le boîtier cristal, ce n’est pas très écolo, l’album mériterait une pochette carton !)
Pour le contenu, ses quatorze chansons sont une invitation à une salutaire prise de conscience, visant à éliminer l’ « esprit de lucre et de profit » dans un « esprit de partage et d’entraide » dans « l’amour du prochain et bien sûr de la prochaine ». On peut craindre le pire, dans la lignée des chanteurs dont se moquait Coluche et son Misère, même si lui-même se battait contre elle. On ne peut que penser que Richard Daumas s’en soit souvenu : « C’est une ombre, un soupir / Que le vent fait frémir / Chaque fois qu’un sourire / Disparaît d’un visage (…) Elle est née comme par magie / D’une mère nommée Finance / Et d’un père appelé Profit (…) La misère » ; entre Dame pauvreté de Jean Villard Gilles, et Tous ces mots terribles de François Béranger.
Certes Masdau en remet une couche, contre les profiteurs, les combinards, les discourtois, les petits chefs, les médias qui ne parlent jamais d’amour, les politiques – son Ode à Maqueron n’a rien d’une action de grâce – les cons et les trousse-pets (2), les religions, parfois avec des longueurs, parfois avec panache : « A force d’avaler les fadaises / Qui s’attachent à rien de concret / On a la cervelle arthrodèse (3) / Et le corps dans un halecret (4)». D’ailleurs, il ne se désintéresse pas de la désertification des églises : sa solution (iconoclaste) à la crise de foi est la fabrication d’hosties artisanales aux goûts plus variés que ceux des pizzas , jusqu’à en faire des space-cakes : « Le curé en reste baba » !
Tout autant capable de sortir cent vacheries à la minute, que d’évoquer délicatement le passage du temps : « A l’ombre des collines ma mie / La vigne pousse contre le vent », la mort donc la vanité de la vie. Ou de rêver sous les étoiles « A l ’heure où la chouette hulule / Les anges dansent en paradis / Le voyage peut commencer / A travers l’océan des rêves / Vers des désirs inachevés ». Ses chansons se déroulent comme des dits de troubadour, tantôt poète, tantôt baladin, entre Brassens, Vassiliu ou l’autre homme de sa vie, Claude Astier, le parrain de la Cave aux artistes, le copain de toujours. Ce Chanteur athée plein d’autodérision (Prononcez un peu à voix haute, d’un trait, pour voir…) ne répond-il pas au Chanteur parano de Claude ? « Mais vous ne pouvez-pas nier / Que j’ai quand même réussi / A les fair ‘chier / Les margoulins de la culture / Qui ne voient que dans la chanson / Un fond de commerce à usure / Pour décervelés sans passion ». La seule chanson qui n’est pas sienne dans l’album, c’est d’ailleurs la momie de Claude, douce et tendre perdue au milieu des monstres, finement orchestrée avec Joël Favreau, qui prête son talent de guitariste à plus de la moitié des titres, ainsi que Paul-Jean Lafa et sa contrebasse.
Les musiciens habillent joliment la plupart des titres dans une ambiance folk-rock ou chanson brassenienne, avec Emile Shoeb à la batterie, et même une note de piano, en plus de la guitare rythmique du chanteur. A retenir tout particulièrement Un matin de mai, qui démarre en blues avant de virer rock, Nouvelles brèves et son rythme exotique, les notes qui tanguent de l’Ode à Maqueron. Et la ritournelle bien cadencée de Je veux du pognon, chanson destinée à nous représenter à l’Eurovision (si, si !)
Sur le disque comme sur la scène chaque chanson est reliée à la précédente par une petite annonce ou moralité dite avec la bonhomie de l’ange Boufareu (5). Ça en fait ainsi une fresque unique, celle d’un honnête homme qui voudrait changer le monde. Qui sait ? Il est capable d’y arriver, le bougre. « On les aura mon camarade / Par le rire et la dérision ».
(1) A prendre au nieme degré, je préfère préciser pour éviter les tsunamis des réseaux sociaux
(2) Marmot qui vous colle aux basques. Par extension : lèche-cul
(3) Bloquée, par allusion à l’intervention chirurgicale bloquant une articulation
(4) Corselet de fer
(5) Ange souffleur, récitant de la Pastorale des santons de Provence, pittoresque, complice et compréhensif
A gauche toutes, Masdau / Richard Daumas, CD auto-produit 2018. Richard Daumas était en concert de présentation d’album samedi 17 août au Théâtre Tousky à Marseille.
Le site de Richard Daumas – Masdau, c’est ici.
Quelques extraits du concert de Richard Daumas au Toursky
https://youtu.be/6bWeGvWfo7A
C’est vrai que je voulais je emballage carton mais je n’avais pas assez d’argent pour me l’offrir. C’est aussi bête que ça.