Corbier, la star de l’ossuaire
Donc François Corbier n’est plus. Mauvais début d’article ! D’abord il n’était pas connu comme « François » Corbier, mais bien comme Corbier tout court. La marque des grands que d’avoir laissé tomber le prénom : Adamo, Maurane, Renaud, Christophe… Et puis c’est con de dire qu’il n’est plus. Quoi, sous prétexte qu’il a avalé son bulletin de naissance, il aurait cessé d’exister dans nos mémoires ? Carabistouilles que tout cela : il a au contraire l’éternité devant lui ! Chiche qu’il va à présent devenir un de ces artistes de l’ossuaire qu’il a tant chantés et que son succès connaîtra une courbe exponentielle. Les chanteurs de l’ossuaire / Ne manquent pas de talent / Ils me pardonneront, je l’espère / D’être encore vivant.
Je ne vais pas vous retracer ici l’histoire de Corbier, sa vie, son oeuvre. D’autres s’en chargeront. Lui-même s’était étendu sur le sujet, avec sa verve unique et son style de romancier mi-San Antonio, mi-Cavanna. Je vous renvoie à ses bouquins, son site, son Wikipedia. Si je pleure ici le chanteur, c’est surtout parce que j’ai perdu aussi un ami. Je pleure et je me souviens.
Je me souviens de ma première rencontre virtuelle avec Corbier. Elle date de la lecture du Fluide glacial n°13 (juin 1977). Une double page présentait 3 chansons d’un énergumène photographié à poil sur un vélo. Une autre photo le montrait chantant avec Marie-Paule Belle, légendée Ils sont frère et sœur, peu de gens le savent. Corbier m’a révélé bien plus tard que cette blague l’avait poursuivi durant des années, bien des gens ayant cru à ce bobard (dont moi, à l’époque, je l’avoue !). Allez savoir pourquoi, je n’ai jamais oublié ces 2 images (c’est grave, Doc ?).
Je me souviens l’avoir par la suite vaguement aperçu à la télévision, dans les émissions de Dorothée. M’en foutais, j’avais passé l’âge de regarder ça.
Je me souviens d’avoir renoué avec lui, si l’on peut dire, par la magie d’Internet. En ces temps où Facebook n’existait pas, il y avait les listes de discussion, sorte de clubs virtuels rassemblant les gens autour d’un intérêt commun. Parmi celles-ci, une liste créée par Chorus, consacrée bien évidemment à la chanson française. Corbier nous y avait rejoints (bien qu’il ait été persona non grata dans la revue) et c’est par ce biais-là que sont nées nos relations épistolaires.
Je me souviens du concert à Liège où je l’ai rencontré en chair et en os pour la première fois. Il chantait dans un lieu consacré d’habitude au hard rock et l’assistance était donc constituée pour une bonne part de la clientèle accoutumée des lieux : de gros bikers tatoués et des punks égarés. A la fin de la prestation, tous ces gens venaient le trouver pour une photo ou une dédicace. Dans leurs, yeux, on lisait l’émerveillement des gosses qu’ils avaient été et qui rencontraient celui qui les avait amusés tant de fois à la télé. Un rendez-vous avec le Père Noël, en quelque sorte.
Je me souviens de toutes les autres rencontres qui ont suivi, bien trop rares, la dernière datant déjà de novembre 2015, et de toutes nos conversations enthousiastes, où je ne manquais d’exprimer mon admiration pour ce diable d’homme qui avait connu tant de monde, en tant que survivant de la grande époque des cabarets. Une encyclopédie vivante.
Je me souviens de ma fierté lorsque, du temps où il tenait son Corbiblog, blog salutaire où il nous entretenait de ses concerts, ses rencontres, ses considérations sur la vie…, il m’avait fait l’honneur et le plaisir de publier l’un ou l’autre de mes papiers (un compte-rendu de concert, une chanson écrite sur lui..).
Je me souviens lui avoir écrit une chanson flash, qu’il m’a dit avoir interprétée quelques fois sur scène (je vous en donne le texte intégral : Deviens plombier / Y’a des débouchés).
Je me souviens de mon bonheur quand il m’a annoncé, en décembre dernier, que, dans le nouveau disque qu’il préparait, il devrait y avoir une – très longue – chanson avec les paroles de bibi. Un prix Nobel ne m’aurait pas fait plus plaisir ! Parution à titre posthume possible ? En ce cas, vent violent d’émotion à prévoir sur Liège.
Je me souviens du sourire de Corbier, de sa dégaine de cow-boy (avec le chapeau), de sa voix joyeuse, de sa manière de m’appeler « Fils ».
Je me souviens de sa générosité quand, après que je lui ai expliqué avoir perdu, dans la nuit de libations qui avait suivi son concert, le CD que je lui avais acheté pour offrir à mon père, il m’a demandé l’adresse de celui-ci et lui en a envoyé un par la poste. Peu de choses ? Une attention et une délicatesse infinies !
Enfin, je me souviens aussi de Doune, son épouse qui l’a toujours accompagné et soutenu, qui était là à chacun de ses concerts, aussi aimable et souriante que son artiste de mari. Mes pensées vont à elle aujourd’hui.
François, j’ai retrouvé notre dernier échange. Il date du 24 décembre 2017. J’avais finement conclu mon envoi par « Mélange directement les huîtres à ton foie gras, tu gagneras du temps et c’est presque aussi bon que séparément » et tu m’avais répondu en ultime réplique « Merci fils. Je vais essayer de faire ça et de bouffer le sapin itou ! ».
Franchement, t’aurais pas dû ! A présent, te voilà bien que le sapin s’est vengé…
Pol de Groeve
Le site de François Corbier, où vous trouverez toute sa discographie et des paroles de chanson, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de François Corbier, c’est là. En vidéo le superbe concert qu’il avait donné à Breteuil-sur-Iton en 2015 au profit du Téléthon.
Le dossier photo du Concert de François Corbier au Forum Léo Ferré en 2016 par Vincent Capraro, c’est ici.
Concert Téléthon 2015
Je ne peux absolument pas laisser dire que Corbier était « persona non grata » à Chorus. En qualité de membre du comité de rédaction de la revue, je peux affirmer que c’est TOTALEMENT FAUX. Si Chorus n’avait été frappé en plein vol alors qu’il restait tant à dire et à montrer, bon nombre de chanteurs, connus ou non, ainsi que leurs fans, ne pourraient aujourd’hui prétendre à cette apparence d’ostracisme qui n’a jamais été de mise à Chorus et ne correspond aucunement à l’esprit dans lequel nous travaillions.
Aucun chanteur n’a été exclu a priori, pas plus François Corbier qu’un autre. S’il est exact que François avait fait état auprès de Fred Hidalgo, directeur et fondateur de la revue, d’un échange difficile avec l’un de nos confrères, ceci était sans conséquences. Chaque journaliste a sa propre sensibilité, ses propres goûts ou réticences et ceci n’a jamais eu aucune incidence sur les choix rédactionnels, le plus souvent guidés par l’actualité et par les hasards des rencontres. Si Chorus avait vécu au-delà de l’été 2009, il est évident que François Corbier y aurait trouvé sa place, au moins pour un portrait, comme tant d’autres que la disparition de la revue a laissé dans l’ombre.
Et un joli concert au Live Club en 2013, et avec un public très réactif : https://vimeo.com/73926524