Les belles histoires de Thomas Fersen
Huy, Centre culturel, 15 décembre 2017,
Quand la lumière s’éteint et que les musiciens prennent place sur la scène, on serait tenté de croire un bref instant que l’on s’est trompé de salle ou de jour. Quoi, c’est William Sheller qui va venir chanter ? C’est en effet un quatuor à cordes qui se déploie devant nous, un vrai, un beau, paré pour nous interpréter un concerto de musique de chambre : deux violons, un alto, un violoncelle. Sauf qu’un cinquième comparse s’est ajouté, armé de sa guitare. C’est le fidèle Pierre Sangra, qui accompagne l’artiste depuis bien des années. Alors que le quintette s’échauffe avec une mélodie aux accents slaves, la vedette entre en scène sous les applaudissements, s’empare de son ukulélé et se lance pour la plus grande joie du public. Lui, c’est Thomas Fersen, et ce premier morceau, c’est son classique Chauve-souris (celle qui est amoureuse d’un parapluie). Le son est excellent, le chanteur – qui use d’un micro mains libres lui laissant une grande liberté de mouvement – en pleine forme, l’auditoire immédiatement conquis. La soirée s’annonce belle. Elle le sera.
Durant plus de deux heures, notre fabuliste préféré va passer en revue son vaste répertoire. Bien sûr, priorité est donnée aux chansons de son dernier CD, paru au début de cette année, Un coup de queue de vache. Nous nous réjouirons donc des tribulations d’un coq qui finira aux petits oignons, emménagerons dans la cabane (bien encombrée) de son cochon, apprécierons la poésie délicate des Petits sabots ou l’humeur plus sombre du Testament, hurlerons comme des loups de Tex Avery avec la strip-teaseuse de Big bang, avant au final de danser tous ensemble la Pachanga. A ces nouveaux titres répondent quelques plus anciennes chansons, que l’on a plaisir à (re)découvrir, tant l’imagination fertile de leur auteur et son originalité dans le traitement forcent l’admiration. Qu’il s’agisse de nous conter l’histoire d’un squelette à la Foire du Trône (J’suis mort), d’une chienne qui pue (Zaza), d’un centenaire acariâtre (Félix) ou du domestique d’un assassin (Monsieur, chef-d’oeuvre immortel !), tout est réussi de bout en bout, de l’accompagnement musical à l’interprétation pleine d’esprit. Du grand art.
Tout à son affaire, Thomas Fersen nous la joue roublard, faisant mine de quitter la scène après une petite heure et revenant en déplorant « J’étais déjà dans la bagnole », nous exhortant à aller nous coucher, ou nous abandonnant en plein drame des Malheurs du lion, sous prétexte que nous connaissons déjà la fin. Il va même jusqu’à esquisser quelques pas de danse sur son célèbre et bretonnant Saint-Jean du doigt. Où s’arrêtera-t-il ? Mais surtout, en bonus à ses chansons, il nous régale de plusieurs histoires inédites, longs poèmes se prêtant difficilement à une mise en musique, où sa plume malicieuse peut s’en donner à cœur joie sans limitation de temps. Il nous déclamera ainsi son Coccinelle (qui s‘achève sur la demande particulière de lui montrer nos fesses !), nous narrera les péripéties d’un vieux blouson de banlieue égaré sur les épaules d’une jeune bourgeoise, nous fera hurler de rire avec les mésaventures d’un amoureux dépité par le maillot de bain si peu convenable de sa bonne amie, ou prônera la révolution chez les meubles Louis XVI… Autant de merveilles qu’il nous tarde de pouvoir écouter ou lire dans notre canapé, pour en redécouvrir les mille subtilités et en apprécier tout le suc.
Personnage à part dans la chanson, avec sa dégaine nonchalante d’un Gaston Lagaffe moderne, maniant la rime riche comme seul Brassens avant lui, Thomas Fersen réunit en lui les qualités de l’auteur probablement le plus brillant de sa génération et le talent d’un artiste de music-hall à l’ancienne. Son spectacle est un parfait mélange de rires et d’émotion, de musique et de comédie, d’intelligence et de cocasserie. S’il est programmé près de chez vous, ne faites pas la bêtise de passer à côté. De telles occasions de soirées sont trop rares que pour les négliger.
Le site de Thomas Fersen, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Très bel article résumant à merveille l’univers décalé et truculent du concert de vendredi !