Bernard Lavilliers : l’enfer de ce monde pour 5 minutes de paradis
Difficile de ne pas savoir la sortie, aujourd’hui-même, du 21e opus studio de notre Stéphanois de la chanson, 71 ans et toujours vaillant. Tous les articles déjà publiés ici et là reprennent les éléments de communication suggérés par la maison de disques. Qu’après plusieurs albums aux couleurs tropicales (et des reprises acoustiques l’an passé), Lavilliers nous revient avec des textes âpres, des arrangements plus électriques… Mais, à de rares exceptions près, Bernard Lavilliers n’a jamais fait deux fois le même album : on l’attend là qu’il est déjà ailleurs. Et, pour dire ce qu’il dit ici, il n’a besoin d’aucuns oripeaux venus des Tropiques, d’Amazonie ou d’ailleurs. Depuis quelques temps déjà, renouant avec la veine de Pouvoirs, Nanar n’hésite plus à intervenir dans les champs et chants politiques et sociétaux entre autres de l’Hexagone. L’aventurier s’est mué à nouveau en fin observateur politique. Et appelle un chat un chat, comme il se doit, parce qu’il est besoin de dire, de dénoncer, que la chanson ça sert aussi à ça. Nulle surprise donc d’entendre sur ce disque des titres tant sur les réfugiés noyés (Croisières méditerranéennes) que sur les attentats (Vendredi 13) : Lavilliers n’est certes pas le seul chanteur, loin s’en faut, à aborder ces deux sujets mais, une fois de plus, il le fait bien.
C’est avec La Gloire, de Pierre Seghers, remarquable poème écrit en 1957 durant la guerre d’Algérie, que Lavilliers ouvre ce disque. « Broyeur de mort, lanceur de feu / Rôtisseur de petits villages / Mon bel envoyé du Bon Dieu / Mon archange Mon enfant sage / Bardé de cuir casqué de fer / Fusilleur Honneur de la race / Que rien ne repousse où tu passes / Mon soldat Mon fils de l’enfer ». Un texte qui donne le ton, la gravité de l’album, lui qui six titres plus loin évoquera un Bataclan de sinistre mémoire.
« Comment va le monde ? Il va comme il va » nous chantait-il naguère. Cet album est de nouveau un survol de l’actualité, d’un monde qui a mal a sa tête ou l’a perdu. On ne sait encore quelle lecture feront de ce disque ceux qui disent haut et fort que la chanson engagée n’existe plus, qui osent la nier malgré l’évidence ; quelle tournure de langage adopteront-ils pour ne pas se ridiculiser en parlant de ces plages rouge sang, qu’elles soient irrigués par les morts quotidiens de la Méditerranée, ou de ceux qui, kalachnikov en mains, s’arrogent le droit de tuer au nom d’un dieu qui n’existe pas. De ce portrait en noir de Charleroi « partie en friches, portes clouées, maison à vendre, abandonnées », pièce importante dans la compréhension de titres qui suivent. D’un Fer et défaire comme une gifle envers monsieur Mittal, chanson que les copains sidérurgistes de Nanar apprécieront. Autant que ce Bon pour la casse qui est comme un bon-à-tirer signé par nos nouveaux gouvernants ultra-libéraux. Certes respirent d’autres chansons, comme celles sur Paris : Paris la grise et Montparnasse-Buenos Aires, plus comme un vague-à-l’âme que comme un jumelage.
Pour cet album à la tonalité rock, on parlera des collaborations que Lavilliers est allé chercher, qui toutes font plus ou moins entendre leur petite musique : Romain Humeau, Fred Pallem, Benjamin Biolay, Florent Marchet, et Feu!Chatterton. Ça fait efficace palette du sensible malgré une austérité de rigueur imposée par le choix des sujets. A ces messieurs, on ajoutera la participation de Jeanne Cherhal. Je crois avoir déjà dit ici que chaque participation de la Cherhal donne une once de plus-value : c’est encore le cas, c’est magnifique !
Noir, ce disque, comme une photographie fidèle de notre monde, où a du mal à percer L’espoir. Qu’en toute fin Lavilliers chante néanmoins avec Cherhal : « Et si l’espoir revenait ? / Tu le croiras jamais / Dans le secret, dans l’amour fou / De toutes tes forces vas jusqu’au bout ». Un sans-faute pour notre chanteur qui, là encore, montre qui est le boss. C’est, de loin, l’un des meilleurs albums, sinon LE meilleur, de l’année.
Bernard Lavilliers, 5 minutes au paradis, Barclay/Universal 2017. Le site de Bernard Lavilliers, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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