Tue-Loup : mazette la musette !
A intervalles réguliers, les artistes ressentent le besoin de se replonger dans le répertoire des grands anciens, histoire de donner un petit coup de ripolin sur des morceaux qui ont fait leur preuve, sont entrés dans le patrimoine et n’attendent qu’une occasion de revenir en pleine lumière, certains qu’ils sont de leur intact pouvoir de séduction. Ça a donné jadis Le p’tit bal du samedi soir de Renaud, Entre deux de Patrick Bruel ou Paris de Zaz… Ou, moins connu, une compilation initiée en 1992 par Boucheries Productions, intitulée Ma grand-mère est une rockeuse, qui voyait les oeuvres des honorables Piaf, Fréhel, Damia et consorts reprises de façon parfois iconoclaste par les joyeux lurons réunis par François Hadji-Lazaro (Sttellla, Didier Wampas, Pigalle…).
Même démarche somme toute que celle adoptée aujourd’hui par Tue-Loup. Après leur splendide Ramo sorti il y a une année, les voici déjà de retour avec un CD intitulé Total musette. La pochette donne le ton : pas question ici – malgré ce titre aux relents de terroir – de donner dans le vintage populeux ! La nana est rock ‘n roll et semble disposée à flinguer au vol les conventions et poncifs. L’écoute de la galette confirme l’impression : pas une once d’accordéon dans les arrangements, mais de la guitare, de la basse et de la batterie comme trio de base, auxquels viendront se joindre banjo, bugle, harmonica ou scie musicale… De l’art et la manière de revisiter la tradition.
Le tout au service de tubes du passé. Passé pas forcément si lointain d’ailleurs, puisque figurent dans les chansons remises au goût du jour Trois petites notes de musique (1961), Salade de fruits (1959), Quand la mer monte (1968), ou encore le beaucoup moins populaire La fille que j’aime de Béranger (1973)… D’autres remontent bien plus loin dans le temps, comme le grand classique de Georgius La plus bath des javas (1925), La valse brune (1909) ou Riquita (1926), qu’on se surprend à (re)découvrir, tant la version criarde de Georgette Plana nous en avait éloignés. Bien entendu, un tel projet ne pouvait faire l’impasse sur Piaf et c’est La foule revisitée qui s’offre à nos oreilles. Citons encore d’autres morceaux, connus de tous par leur mélodie et quelques paroles éparses (P’tit brin de musette, Un gamin de Paris, E viva Espana). Autant de titres qu’on croit connaître par cœur et qui, pourtant, nous apparaissent neufs et pimpants dans leurs nouveaux atours. Le disque s’achève sur une chanson de Tue-Loup, Le père Geray, dont l’accent populaire et l’intemporalité ne la font pas dépareiller de celles qui l’ont précédée.
Seul petit bémol que l’amateur de chansons ne peut que déplorer : les auteurs-compositeurs ne sont crédités nulle part sur la pochette ! Peut-être une manière d’accentuer leur passage dans la mémoire collective (longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues, comme disait l’autre…), mais aussi un certain manque de considération pour ces auteurs, parfois oubliés effectivement, dont l’œuvre aura pourtant su passer outre les années qui s’écoulent.
Disque surprenant de la part d’un groupe s’adonnant d’habitude au rock mâtiné de poésie sombre, Total musette nous offre l’occasion de revisiter nos classiques et d’apprécier d’une oreille actuelle des titres bien troussés et résolument populaires, que l’intelligentsia de l’époque devait probablement rejeter d’une moue boudeuse. On pourrait en tirer une morale sur le danger de ranger trop vite, dans les tiroirs infâmants de la commercialité, les artistes qui visent simplement à procurer du plaisir et du bonheur à leur auditoire au moyen de chansons faciles d’accès. Mais on n’est pas obligé !
Tue-Loup, Total musette, 2017. Le site de Tue-Loup, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de ce groupe, c’est là.
Superbe idée de revisiter ces chansons du patrimoine, et d’après ce que nous en révèle le teaser, c’est une grande réussite. Bravo aux artistes !