Alain Chamfort, confession d’un chanteur solitaire
« Je suis pudique – c’est mon éducation -, je ne me déboutonne pas à l’envi, disons que ma nature est réservée ».
Par ces mots débute l’autobiographie d’un artiste parmi les plus discrets de la chanson française : Alain Chamfort. Était-il besoin qu’il nous le précise, d’ailleurs ? Si Alain Le Govic (de son vrai nom) est si apprécié d’un cercle d’amateurs, malheureusement trop restreint, c’est bien pour cette retenue dont il fait montre sans faille, à la ville comme à la scène, dans ses chansons ou dans sa vie publique. Ecouter Chamfort, c’est entrer dans une bulle de plaisir et d’intelligence, faite de mélodies savantes et délicates, de formules assassines sur l’amour, de distance et de recul. Chez lui, on ne s’arrache pas les tripes, on ne s’écorche pas vif, on n’ouvre pas son cœur au tout-venant. On meurt certes d’amour, et plutôt deux fois qu’une, mais en ayant la courtoisie de n’en pas parler à ses voisins. Un style reconnaissable entre tous, une patte indéniable, une personnalité, quoi !
C’est dire si l’on était intrigué de le voir se livrer au petit jeu de l’auto-confession. Nul doute, bien sûr, qu’avec la longue carrière qui est la sienne (il n’avait même pas 18 ans quand il est devenu professionnel !), il devait avoir des choses à raconter sur sa traversée chaotique du monde musical. Mais comptait-il s’en aller plus loin dans son dévoilement et se départir de l’élégant masque qu’il ne semble jamais vouloir quitter ? Et si oui, en sommes-nous réellement demandeurs ? Fallait-il vraiment l’inciter à braver le silence habituel qui le couve, au risque de désillusionner ses admirateurs, tant l’homme derrière l’artiste peut trop souvent s’avérer décevant ?
Le livre s’intitule Intime et est sous-titré Anti-biographie musicale. L’auteur s’en explique : il a entendu parler de lui d’une façon inhabituelle, en se libérant de la chronologie attendue et en donnant à lire les lignes de force de sa personnalité à travers les rythmes de son répertoire. Cela donne à l’arrivée une œuvre dont la composition s’écarte effectivement des voies qu’arpentent de coutume les ouvrages de ce style : la moitié du livre consiste en un auto-portrait de l’artiste, abordant sa pudeur et sa timidité extrêmes, révélant ses angoisses d’enfance, explicitant son goût du beau et du raffiné, justifiant ses rapports à la gent féminine…, tandis que la seconde partie compile les portraits des personnes ayant joué un rôle essentiel dans sa carrière (de Jacques Dutronc à Marc Moulin).
D’une lecture agréable – quoique l’emploi quasi systématique de l’imparfait là où l’on aurait attendu le passé simple la rende par moments très agaçante -, le livre permettra à tous ceux qui n’ont qu’une vague idée de la discographie du chanteur (en gros, ceux qui ne connaissent de lui que Adieu bébé chanteur et Manureva !) d’appréhender l’homme derrière le dandy, avec ses blessures, ses petites lâchetés d’homme, ses exigences artistiques. Pour les autres, ceux qui ont pu deviner l’être derrière l’œuvre, l’ouvrage ne fera qu’apporter confirmation de ce qu’ils avaient déjà pressenti.
C’est d’ailleurs la leçon majeure à retenir de l’opuscule. Oui, Alain Chamfort n’écrit pas ses paroles et dès lors, comme tant d’autres (on pense d’abord à Laurent Voulzy…), ne peut espérer faire un jour partie des grands de la chanson française, club réservé par ceux qui savent aux poètes de la plume, et non aux forçats du clavier. Et pourtant, par les choix de ses chansons et de ses collaborateurs, c’est indéniablement lui l’auteur complet d’une œuvre qui lui ressemble en tous points ! Cette communion virant à l’osmose est particulièrement sensible dans les albums de sa maturité, depuis le novateur Troubles jusqu’au dernier opus sorti à ce jour, lorsqu’il a décidé de confier l’écriture des textes au seul Jacques Duvall, qui aura su écrire pour lui les mots que sa pudeur refuse d’énoncer. Quand Chamfort, dans son livre, évoque sa maman qui l’a toujours surprotégé, comment ne pas y retrouver sa magnifique chanson La plainte du blessé léger ? Son souci quasi-maladif d’élégance (non pour paraître, mais pour ne surtout pas déplaire !), comment mieux l’appréhender que par L’ennemi dans la glace ? On pourrait ainsi multiplier les exemples d’allers-retours entre la vie et l’œuvre du chanteur.
Pour le reste, le livre contient aussi son content d’anecdotes amusantes (par ex., ses débuts dans un groupe nommé les Murators, dont le chanteur ne dédaignait pas descendre dans la salle pour se mêler aux bagarres qui y avaient éclaté, au grand désarroi d’un Chamfort à peine sorti de l’œuf et pétri de bonne éducation…), de portraits bien sentis (Dutronc fidèle à son image de jouisseur éhonté et de chef de bande, Claude François autoritaire et paranoïaque, Gainsbourg manipulateur et petit à petit envahi par Gainsbarre…) ou d’hommages reconnaissants (à Marc Moulin, réalisateur de ses plus beaux albums, décédé en 2008, à Steve Nieve, pianiste qui l’a accompagné pendant trois années…). Il ne fait par ailleurs pas l’impasse sur ses difficultés d’artiste plus vraiment en vogue, chassé de sa maison de disques et forcé à l’auto-production pour son album consacré à Yves Saint-Laurent. On regrettera toutefois l’absence totale d’iconographie, tant on aurait souhaité aussi trouver dans l’ouvrage quelques photos de ses beaux débuts ou de ses hauts faits d’armes.
Intime donne l’occasion de mieux percevoir Alain Chamfort, qui, sans se dévoiler entièrement, n’aura probablement jamais été si loin dans la confession. Mais pour le connaître vraiment intimement, rien ne vaut la plongée dans son abondante discographie, parole de fan !
Le site d’Alain Chamfort, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Vidéo mise à jour le 29 juin 2019. L’ennemi dans la glace La passerelle des Arts juin 2013
Pour l’avoir quelques temps côtoyé dans un concours de chansons, je peux aussi affirmer que c’est un homme attentif, à l’écoute des jeunes chanteurs, sensible à la qualité profonde de leur expression textuelle et musicale.
J’ai pu en plusieurs occasions mesurer sa fidélité et son honnêteté.
Il fallait que cela soit dit, trop d’artistes à son niveau n’ont pas ces qualités humaines.
Le livre d’Alain Chamfort : une confession intime absolument magnifique qui révèle au grand jour sa sensibilité avec ses mots qui libèrent ses maux… Sa musique en est empreinte depuis toujours et j’adore… Première rencontre avec Alain à Vierzon en 1972 avec Alain Barrière (il était au piano)… Sa chanson « dans les ruisseaux » était déjà dans les bacs… C’est toujours un immense bonheur d’aller à ses concerts comme celui du vendredi 1er avril 2011 à Olonne-sur-Mer en Vendée (concert intimiste chaleureux)…
Alors « le temps qui court » avec Alain est magique, merci beaucoup pour tout… Eloïse Chantal.