Jean-Jacques Goldman, en toute confidentialité
Jean-Jacques Goldman ne m’a jamais convaincu par ses chansons qui passaient entre mes oreilles sans laisser d’autre trace qu’un agacement lorsqu’elles étaient matraquées à longueur de journée. Pour ce qui est de l’agacement, je suppose que si les chansons de Michèle Bernard, de Laurent Berger ou de Jérémie Bossone étaient autant matraquées, j’aurais le même. L’indifférence en revanche, tient davantage aux arrangements musicaux, à la façon de chanter, à la mode du moment. Toujours est-il que ces obstacles m’ont fait passer à côté des textes et surtout à côté du message plus ou moins subliminal. Certes, Goldman n’a ni le génie verbal d’un Ferré ni la finesse pointilleuse d’un Brassens, mais il n’en a pas la prétention et il possède une remarquable habileté pour trouver les mots et la musique en adéquation pour toucher le plus grand nombre.
J’ai toujours été gêné toutefois d’entendre quelques-uns de mes amis pourfendre le « chanteur pour minettes » avec des mots d’une violence dont l’excès dénonçait davantage un mal-être qu’une réelle méchanceté. Comme si on ne pouvait pas aimer Goldman si on aimait Leprest, Rémo Gary ou Véronique Pestel par exemple. Il fallait que la ligne de démarcation soit claire et nette, le meilleur moyen étant de guerroyer pour marquer son territoire ! Peut-être aussi pour se rassurer d’être reconnu dans un clan.
Je savais que, si le chanteur n’était pas dans les favoris de ma discothèque (où sa présence doit se limiter à trois CD), en revanche, l’homme possédait des qualités rares et une générosité que bien des chanteurs dont j’aimais les textes étaient loin d’atteindre.
Lorsque j’ai attaqué les premières pages du livre de Fred Hidalgo, j’avançais en territoire inconnu ou presque, avec l’envie de découvrir. Bien m’en a pris. Parce qu’on ne peut pas prétendre aimer la chanson et ignorer le recordman de vente de disques sans se sentir en décalage profond avec la réalité. Parce que nos goûts personnels, aussi essentiels qu’ils soient, ne doivent pas nous isoler du monde.
L’originalité de ce livre tient dans son titre. Ce n’est pas une biographie, ni une analyse de l’œuvre, c’est bien plus : une double histoire, une double aventure, deux destins croisés, une amitié solide construite sur de belles valeurs. La rencontre de Fred et Mauricette Hidalgo avec Jean-Jacques Goldman et les liens tissés ensuite entre eux traversent une époque formidable de la chanson. C’est Paroles & Musique, puis Chorus, pour les premiers, Quand la Musique est bonne, un disque de diamant, la « génération Goldman », les Restos du Cœur, pour le second. Entre eux, les moments de bonheur partagés avec les lecteurs ou avec le public, malgré les péripéties, les coups fourrés, les trahisons, les obstacles du monde de l’édition, du show-business et de la politique. Des moments forts de rires et de larmes, d’émotions sincères et de rigueur éthique qui font la vie de la chanson, qui font la vie tout court.
Confidentiel. Oui, ce sont bien des confidences qui nous sont offertes par Fred Hidalgo. Des échanges téléphoniques, des courriers, des moments vécus qui ont créé un lien fort entre les fondateurs de Chorus et le chanteur à succès, si discret habituellement. Confidences franches et modestes, partagées d’un total accord avec le lecteur. On sent l’amitié et la connivence, dans la droiture et le respect de part et d’autre.
L’histoire des deux journaux et celle de l’artiste sont intimement liées à une tranche d’Histoire de la chanson. On y rencontre les trois autres mousquetaires, parrains de Chorus (Cabrel, Souchon, Simon), l’ombre des grands ancêtres (Ferré, Brassens, Brel, Aznavour) et tant d’autres chanteurs bien moins connus ; on y retrouve le contexte économique et social et les luttes politiques dans lesquelles s’est débattue la chanson, avant d’être terrassée par l’invention technocratique de « musique actuelle » ; on découvre surtout la simple humanité de deux hommes de cœur et de caractère, droits dans leurs convictions comme dans leurs actes et c’est aujourd’hui bien rassurant.
Fred Hidalgo, Jean-Jacques Goldman, Confidentiel. L’Archipel, 570 pages, 23 €. Le blog de Fred Hidalgo, c’est ici.
Quand Fred Hidalgo écrit sur Jacques Brel ou sur Jean-Jacques Goldman, il trouve un éditeur (L’Archipel pour les deux). Quand il écrit un livre généraliste sur la chanson (La mémoire qui chante), il est obligé de passer par le financement participatif où les souscripteurs lui ont fait presque triomphe. Si je salue ici le travail de Fred Hidalgo, je ne salue pas ces éditeurs bien peu courageux qui ne prennent plus aucun risque et condamnent des livres au silence ; livres qu’ils auraient pu vendre (la preuve) s’ils se conduisaient de manière un peu plus responsable, plus ambitieuse.
En ce qui concerne les médias qui ne reprennent rien, ils sont également exclus par l’évaluation populaire, l’approche locale mérite autant d’attention que la vie globale, les responsables doivent obtenir des informations sur leur rôle et leur mission, et se laisser convaincre par les chroniqueurs. , véritables observateurs de l’existence quotidienne.