Aix 2016 [dernière]. La caravane passe, et le chien la suit
Salle du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence, 8 octobre 2016,
Imaginez un pays où les hommes (bon, les femmes aussi, bien entendu) vivraient d’amour. Où l’on s’efforcerait de se faire un paradis sur terre. Où l’on comprendrait toutes les langues sans effort, où la tour de Babel ne s’effondrerait pas, où l’on chanterait, danserait le jour et la nuit. Certains l’ont rêvé, ils l’ont fait. Avec humour et dérision, sans se prendre au sérieux. Et pendant quelques heures, tout le monde y a cru. Reste à continuer le rêve. Et on peut compter sur eux pour nous y aider.
Eux ? Un croisement improbable entre Jacek Kaczmarski, les Charlots, Django Rheinhardt et Joselito. Ça fait quinze ans qu’ils s’amusent à traîner leurs guêtres, leurs roulottes, leurs chameaux, leurs chiens, leurs toques de fourrure et leurs bottes, leurs chemises colorées et leurs tacones, leurs chapeaux et leurs casquettes en France, en Asie, en Europe de l’Est et d’ailleurs, en Espagne…
Leurs textes semblent au départ uniquement parodie, caricatures de tous les accents humains, invraisemblable gloubi-boulga de langues, français, anglais, espagnol, arabe… et d’onomatopées. Si vous prêtez l’oreille entre les riches notes cuivrées, ils sont plus élaborés qu’ils n’y paraissent, inventifs, pleins de références culturelles (le « singe en hiver » de Shouf la chapka), de jeux de mots, soucieux du monde qui nous entoure. Quant aux musiques, elles sont aussi multiples que virtuoses, de l’acoustique à l’électro.
Ils sont cinq. A l’Est Toma Feterman, un mix Ashkénaze de Pologne, Roumanie, Paris et j’en passe. Alias Lénine du groupe Soviet Suprême. Tondu sauf la moustache. Il parle, chante, en roulant les r souvent, joue de la guitare, du banjo, de la trompette. Tout en sautant. Haut. Très haut. Tout le temps. Même en jouant, ça tient du miracle. Quand il a trop chaud, il en enlève une couche. Ça va de la toque aux micro lunettes de soleil, de la veste au t-shirt. Nous n’en aurons pas plus, même quand il chante « J’ôterai le haut et le bas ». Ah, j’oubliais : c’est aussi lui qui écrit et compose l’essentiel des textes.
Au Sud Olivier Llugany le catalan : il vient de Figueras. Cheveux mi longs bruns et frisés, chemise ouverte. Il joue surtout des cuivres, du fiscorn (sorte de bugle), du clavier parfois, chante avec une voix d’or, écrit et compose le flamenco. Ses la lo lai lo la lo lai, c’est pour que tout le monde le reprenne. Et ça va vite, très vite « Da me tu calor gitano, da me tu savor maestro ! »
Cyril « Zinzin » Moret à la longue barbe noire de hipster joue du saxo, comme il vient du cirque il est même capable d’en jouer de deux à la fois ! C’est lui qui a donné son nom à la chanson la plus directement antiraciste du groupe, dans une ambiance à la Ennio Morricone, avec une liste incroyable des noms dont on a affublé l’étranger, le migrant : « Fini les temps gitan, rital, roast-beef, chleuh, les boukaks, les wetback, les bledards, les bouseux, les Blanche-Neige, les bronzés, les pédales, les moika, les froggies, les halouf, les pechno, bamboula (bamboleo) / Si tu n’es pas à ta place, prends donc la première caravane qui passe ! A l’ouest rien de nouveau change ton western en eastern a la Zinzin Moreto » Pendant ce temps là, sur scène et dans la foule, des ballons s’envolent et l’on danse, chante, se congratule, sous des chapeaux pointus de fête…
Ce sont les trois qui bougent sur scène. Et quand je dis bougent ! On aimerait s’abreuver à leur fontaine d’énergie ! En fond, last but not least, il y a le flamboyant batteur Pat Gigon qui finira vêtu d’un simple boxer fleuri, et l’imperturbable bassiste Ben Body, il a du mérite !
Sont invités textes et musiques de Rachid Taha qui a travaillé avec Tom sur Baba (Père). La paix soit avec eux !
D’Est en Ouest, de jazz manouche en folklore russe, de rock électro en musiques orientales, d’embouteillages urbains en bal des Balkans, la troupe ensoleille la salle, met Salade Tomate Oignon dans ton kebab, fait monter sur scène un petit garçon pour lui souhaiter son anniversaire (à 80 ans, il s’en souviendra encore), réchauffe les cœurs et les corps sous la chapka, invite des spectatrices à danser et chanter sur scène, avec une incroyable générosité. Et finit « sans électricité », en fanfare au milieu de la foule, sortant en musique jusqu’au hall où ils se prêtent avec extrême gentillesse et simplicité aux photos, interviews et dédicaces. Merci les gars. On vous suivrait bien au bout du monde.
Le site de La Caravane passe, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là. La page facebook de NicoSolo, c’est là.
Et le nouveau clip de Baba avec Rachid Taha
https://www.youtube.com/watch?v=Z46Bsh1qn94