Les adieux arrivés d’Isabelle Aubret
C’est un disque particulier, soigné, pensé plus encore que les précédents. Encadré par deux titres « utilitaires », signés Lemesle, qui peuvent logiquement être moins intéressants. Et le sont. Le premier pour l’entame de son récital unique de ce 3 octobre 2016 à l’Olympia. L’autre, forcément plus émouvant, au moins pour son public fidèle, pour nous faire ses adieux : « Vous m’avez portée tant et tant / Qu’à l’heure de quitter la scène / J’emporte un merveilleux cadeau / Le bleu de la chaleur humaine / Dans les plis rouges du rideau ». Car ce disque est son dernier, au sens d’ultime. Dernier disque, dernier Olympia, dernière tournée Age tendre puis la gueule de bois : la chanteuse respecte son âge et en tire conclusion autant que révérence. Sous une chevelure toujours aussi blonde, ses rides nous rappellent qu’Isabelle Aubret chante depuis 57 ans déjà (chanteuse d’orchestre au Havre en 1958 ; premier disque en 1961 ; deux fois Prix de l’Eurovision de la chanson ; sacrée « meilleure chanteuse du monde » par le Japon en 1980…). Faut-il dire que nous ne l’avons pas vue vieillir ?
Isabelle Aubret est une singularité dans ce métier, une exigeante esthétique de la chanson étonnement vendue au rayon variétés, une chanteuse de charme au service de vers littéraires.
Que retenir de cet album ? La fidélité, consubstantielle à la dame. Près de la moitié des titres sont de Claude Lemesle, un des auteurs fétiches d’Isabelle Aubret, comme il le fut de Reggiani ou de Dassin. Et quatre autres de Georges Chelon (dont trois viennent de son récent album, La belle endormie, de 2015). Ça nous rappelle aussi que la carrière d’Isabelle Aubret s’est finalement bâtie avec peu de paroliers (bien qu’on trouve ici Michel Rivard, Michelle Senlis, Jean-Max Rivière, Corinne Cousin, Alain Maudet et Jacques Debronckart). Et bien peu, très peu, de cette relève qui aurait parfois pu fouetter le sang de ses chansons.
Avec Allons enfants et La belle endormie, toutes deux d’un Chelon de la meilleure veine, le ton de ce disque est forcément grave, teinté des attentats de Charlie-Hebdo et d’après : « Ils sont assis aux pieds d’Allah / Aux pieds de Dieu de Yahve de Bouddha / Ceux qui voulaient les faire taire à jamais / Leur ont offert un coin d’éternité ».
Mais c’est avec La liberté de Debronckart que cet ultime opus d’Aubret touche sa cime. Brillante interprétation d’une chanson d’une évidente actualité, ne serait-ce qu’en opposition à ces zélés candidats à la présidence qui tous, ou presque, surenchérissent dans la promesse de moins de liberté : « On croyait que la liberté / On la tenait bien / Mais elle nous a filé entre les mains /Partie filée entre les mains ». Bravo. On retiendra aussi ce remarquable Il faut vivre de Lemesle qui lui aussi peut se chanter à l’heure du bilan, d’un presque testament : « Il faut vivre d’amour d’amitié de défaites / Donner à perte d’âme éclater de passion / Pour que l’on puisse écrire à la fin de la fête / Quelque chose a changé pendant que nous passions. » Et cette autre encore, qu’on doit à Alain Maudet : « C’est ma chanson infiniment / Mon passage tout simplement / Ma façon de vous avoir aimés / C’est un peu mon éternité. » Jamais sans doute Isabelle Aubret n’a autant dit « je »
Bien d’autres chansons concourent à la réussite de ce disque, qui nous parlent d’amour et d’empathie, mais au gré des plages toujours revient l’idée d’un bilan, d’un regard en arrière, au moment où on décide de ne pas aller plus loin, « des amours inachevés / et l’amertume d’un espoir / qui ne s’est pas réalisé ». Convenons que c’est un bel adieu.
Isabelle Aubret, Allons enfants, Disques Meys 2016. Le site d’Isabelle Aubret, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Pas de vidéo sur la toile correspondant à ce nouvel album.
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