Lily Luca : l’album du presque parfait !
Sauf à être adepte de la Boutin, ce ne sera pas La petite goutte de Luca qui, pour nous, fera déborder le vase. Ou plus sûrement le préservatif. Ni ça ni le reste. Dédier une chanson (du fond d’un utérus, d’une capote ou du petit gobelet blanc au laboratoire) au sperme, on n’avait pas vu ça depuis Les spermatozoïdes de Ricet Barrier (« Nous sommes 300 millions, massés derrière la porte… ») ou, si on veut, Les Sucettes de Gainsbourg goulument léchées par l’innocente France Gall, « lorsque le sucre d’orge / parfumé à l’anis / coule dans la gorge d’Annie ». Gloire à Lily Luca qui incontestablement est artiste et femme de goût. Et ose : « C’est une petite goutte de plus / Qu’un corps étranger éjecte / Tout au fond d’un utérus / Qui pour sa part… s’en délecte / C’est une petit goutte de trop / D’une irrésistible envie / Dans l’arrière-salle d’un bistrot / Celle qui peut changer la vie. »
Lily Luca, nous l’avions laissé sur un premier album étrange et séduisant, pour lequel certains déjà criaient au génie, voyant bien plus loin que cet essai, anticipant les mutations, visualisant déjà le papillon après le cocon qui va de soie. Apnée après année, la scène a confirmé la vague, a amplifié cette première et tenace impression. Un récent EP, dont trois des quatre titres se retrouvent ici, l’attestait en nous faisant patienter (difficilement, on trépignait) de ce qu’il devait venir, advenir. Voici donc l’album dont, fidèle à son habitude, elle signe textes et musiques, interprétation, maquette du digipack et illustrations, la chanteuse étant aussi dessinatrice.
Dans l’entame du disque, Lily, la « banalement heureuse » qu’elle est déclare son attrait, jusqu’au physique, même s’ils sont impénétrables, pour les artistes torturés aux expériences psychédéliques « mêlant drogue et fornication / le tout dans une ivresse phallique ». Elle n’y échappe d’ailleurs pas à ces amours ou refus d’amour un rien torturés. Sinon comment interpréter La stratégie du foulard en coton, superbe dramaturgie d’une liaison blessée, vengeresse, au final criminelle ? Ou ces mains qui se crispent méchamment sur le pauvre limaçon du garçon aux mains trop baladeuses, pleines de libido ? Avec Lily, déclarez forfait, c’est plus prudent ! Amour toujours, mais disparu. celui-ci. Que tout lui rappelle : « Pour moi ton sourire / Est loin d’être effacé, merci d’être passée ». Tristesse et formidable chanson, présence de l’absente, propos et musique tout en retenue. Exemplaire !
Les artistes, l’amour, le cul, tout a certes déjà été chanté. Mais pas comme ça, pas comme elle, pas forcément avec cette douce crudité, ces mots appropriés qui s’acoquinent à une singulière et touchante poésie monogame, polygame, au masculin comme au féminin.
Notons que parmi ces onze plages, il en est une, La plage en hiver, interprétée en duo avec Thibaud Defever, de Presque Oui : « J’vois pas l’intérêt des vagues / Si y’a pas l’plaisir de la drague / A quoi sert le sable fin / Si ça s’glisse pas dans l’maillot d’bain ? » On ne va pas passer ici en revues tous les titres. Tout sonne bien, swingue même s’il le faut, dans la candeur et l’impudeur mêlées. On aime cet album, passionnément. On s’en délecte. Jusqu’à la dernière goutte… Jusqu’à cette chanson du bout du disque, qui fait un peu bande à part, échappant ainsi à la thématique. Sur une sportive qui, coûte que coûte, Vaille que vaille, aura sa médaille. Un autre monument de ce disque qui souvent frôle la perfection, qui fera date ou c’est à n’y plus rien comprendre. On se souvient de ce Barjac où Anne Sylvestre avait choisi Lily Luca pour sa première partie. S’il faut trouver [la] successeur d’Anne Sylvestre, si on peut encore parier sur l’avenir de la chanson, alors misons sur Lily Luca : c’est une rare évidence.
Notons enfin que cet album a été réalisé (et arrangé, entre autres), à Londres par le britannique Fred Thomas : « il a tellement fait un boulot incroyable… » nous en dit Lily, dans des accents délicieusement british et de grande sincérité.
Lily Luca, Le charme impénétrable des artistes torturés, autoproduit 2016. Le site de Lily Luca, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
J’ai vu les vidéos. J’ai trouvé ça excellent, idées hyperoriginales, présence remarquable.
Si vous avez un album (ou même plusieurs), il va sans dire que je suis preneur.