Miossec, mammifère en mue
Changement d’herbage réjouit les veaux, chantait jadis Ricet Barrier. J’ignore si ce dicton fonctionne à coup sûr pour toutes les occasions, mais pour Miossec, cela semble avéré !
On avait laissé notre breton voici deux ans sur son excellent Ici-bas, Ici même réalisé avec Albin de a Simone. Il nous revient déjà avec une nouvelle galette concoctée dans l’urgence : Mammifères. Le livret nous apprend en effet que le projet est né de la rencontre du chanteur avec un trio de musiciens – Leander Lyons à la guitare, Mirabelle Gilis au violon, Johann Riche à l’accordéon – et de leur volonté de partir très vite sur les routes pour chanter dans une formule acoustique dans des petits lieux insolites, histoire d’apporter du bonheur aux gens.
Oserait-on bénir l’ambiance délétère du moment, pour avoir permis cette sortie de route de Miossec ? Sans aller jusque-là, on s’en consolera toutefois quelque peu à l’écoute de ce bien bel album, qui devrait satisfaire pleinement les adeptes de l’artiste, qui y retrouveront ses textes acérés et tranchés, sans une trace de gras, tout en lui permettant de gagner de nouveaux adhérents, séduits qu’ils pourraient être par le ton apaisé et volontaire des chansons.
Car oui, pour ce disque, Miossec a changé. Sagesse de l’âge ? Désir de contrer le pessimisme envahissant ? Volonté de mettre en valeur ce qui nous unit et nous rend beau ? Combat à sa modeste échelle pour hisser haut le drapeau de l’espoir post-13 novembre ? Probablement un peu de tout cela. Toujours est-il que l’artiste a remisé (temporairement ?) au placard sa noirceur habituelle pour nous entraîner dans une ronde réconfortante, baume apaisant pour calmer nos douleurs et panser nos plaies.
S’ouvrant sur un On y va à couleur de manifeste (On y va, on y va / On va pas rester sur nos genoux / On est bien plus grand qu’on le croit), courant après le bonheur où il se trouve (On joue à se faire peur / A l’idée qu’il ait pu s’évader / Mais il s’est caché tout à l’intérieur), évoquant à mot couverts les attentats dans La vie vole (On est un soir d’hiver / On parle, on pleure, on rit / Sur les terrasses en plein air / On n’est pas si loin du paradis) et s’achevant par un regret sur l’innocence perdue (C’est quand elle n’est plus là / Qu’on peut la contempler / Avant on ne pouvait pas / On était trop rapproché), l’œuvre distille sa douceur lénifiante et éloigne l’orage grondant l’espace d’une écoute. On en sort en se disant que rien n’est perdu et que, tel le cascadeur de la chanson, on se relèvera et que l’on perdra son écorce et ses écailles pour mieux renaître.
Musicalement, Miossec s’est également éloigné de sa zone de confort, osant des orchestrations inédites chez lui. Point de rock dur ici, nulle trace non plus de ces musiques au cordeau, mais des ambiances folk, parsemées de relents tziganes (ah, le violon magique de Mirabelle) ou de tango argentin (Le roi). Sans tomber dans le populaire béat, l’artiste a visiblement voulu offrir des chansons accessibles à tous et ce pas vers un plus grand public lui va bien. Pourtant, vous l’imaginiez avec un accordéon omniprésent, vous ? Soulignons toutefois que sa voix (âge ou alcool ?) se voile de plus en plus – amusant : sur certains titres, on croirait entendre Magyd Cherfi ! – et que le souffle est parfois un peu court, le poussant plus au talk-over qu’au chant proprement dit.
Mammifères est une œuvre d’actualité mais intemporelle, ancrée dans notre époque par son propos mais s’inscrivant dans la tradition pour sa musicalité. Miossec l’écorché vif s’y fait médecin de l’âme de ses contemporains. C’est inattendu et c’est une totale réussite. En bon amateur de chanson française, vous possédiez (au moins) ses albums Boire et 1964 ? Ajoutez-y ce petit dernier en toute confiance.
Miossec, Mammifères, Columbia 2016. Le site de Miossec, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Interview et petit concert Live : https://www.youtube.com/watch?v=ePWjrCJKXMs
Très bel album, en effet, révélant de nouvelles facettes de l’univers de cet artiste précieux …. Belles orchestrations … un plaisir dont je ne me prive pas !!!! Merci à toi Catherine et à Pol …