Romain Lemire… Gaston moins le quart mais pile à l’heure (d’été !)
Il est des spectacles rares pour lesquels l’appellation tour de chant ou concert ne suffit pas à en traduire la subtile complexité et à restituer la palette multiple de talents offerts au spectateur. Celui de Romain Lemire, dont la première eut lieu au Vingtième Théâtre, en fait partie : son « Gaston moins le quart » nous le fait découvrir auteur, interprète, comédien, poète, conteur… et nous entraîne, sans crier gare, sans un temps mort, dans les « rêveries d’un paumé solitaire ».
C’est au sortir de la nuit que Gaston apparaît, lunaire, en pyjama et tasse de café à la main, entonnant au seul son d’une boîte à musique une ode à ces « petites heures du matin où on oscille entre tout et rien ». Le personnage est campé, toujours à côté, surpris d’être dans le feu des projecteurs, l’air perdu, éberlué. Une radio diffuse des nouvelles et une météo improbables, c’est la saint Gaston… présentation :
Je suis sûr de rien
Mais ça au moins j’en suis certain
Je doute de tout
Est ce que c’est une vis ou un clou
Tout ce que j’ai appris
J’ai beau le savoir faut que je vérifie
Et j’ai peur du noir
Mais pas la nuit
Gaston moins le quart…
A partir de là, Romain alias Gaston ne nous lâche plus. Seul en scène, s’accompagnant au piano, guitare, accordéon ou ukulélé ainsi que d’autres objets hétéroclites: électrophone, machine à écrire, cloches… il nous embarque dans son univers entre états d’âme, histoires et portraits ou le quotidien se charge de doute, d’étrangeté, de rêve.
Dans le monde de Gaston, il y a le flux de la vie, cette vague qui monte et descend, qui nous chahute, nous emporte, nous fait apaisés ou violents (On est des océans), ce désir de mer qui est aussi un espoir d’ailleurs, celui qui emporte Cécile Ballutin loin d’une vie monotone et sans fantaisie.
Dans l’esprit de Gaston, il y a la nostalgie, celle des disparus (On dit les morts absents) évoquée avec pudeur et tendresse, celle qui nous fait flâner au rythme d’une vie, au son des noms des rues de Paris, celle du souvenir des Amours de jeunesse.
Dans le cœur de Gaston, il y a l’amour, idéal, lumineux, Plus vivant qu’un vitrail, bien souvent incertain qui se ponctue d’un point, celui qu’on attend ou qu’on redoute, qui se vit dans l’absence seulement remplie d’un écran cathodique (Elle).
Dans la tête de Gaston, il y a de drôles d’idées, le bilan dérisoire d’une vie qui varie entre le trop plein et le rien, le sentiment de la fragilité de cette existence que l’image de la mort dans un miroir rend définitivement Provisoire.
Dans l’âme de Gaston, il y a la poésie, celle des écrits de Romain finement ciselés, celle empruntée à Dario Fo et Aragon pour dire « malgré tout que cette vie fut belle ».
Dans l’inventaire de Gaston, il y a mille et une trouvailles, bien des surprises, de l’humour, de la créativité, du rythme et de la précision. Car telle est la vertu de ce spectacle : Romain Lemire sait ici bâtir un univers mouvant sur une structure solide, un travail méticuleux qui ne laisse rien au hasard pour offrir toute la place à la spontanéité, à l’imaginaire. Rien n’est vain ni futile : utilisation intelligente des bandes sons, des accessoires, justesse des textes introduisant ou ponctuant les chansons, tout est au service du personnage de Gaston, fantasque, décalé mais où chacun se retrouve avec ses doutes, ses rêves, sa fragilité, son incertaine humanité.
Le site de Romain Lemire, c’est ici, la présentation du spectacle c’est là. En concert le dimanche 3 avril 2016 à 19 ) au Bateau El Alamein (Paris 13) en co-plateau avec Oldelaf, Fanch et Géraldine Torres, et le samedi 23 avril à 20h30 au Forum Léo-Ferré à Ivry-sur-Seine.
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