Julien Renon et la troublante actualité de Boris Vian
29 mai 2015, On n’est pas là pour se faire engueuler, Julien Renon (chant), Valérie Rogozinski (piano), le Bijou à Toulouse,
Quand le comédien Julien Renon arrive en scène, très grand et très mince dans son pantalon chic et sa chemise orange, qu’il s‘offusque de l’arrivée de sa pianiste, bruyante (et en retard !), du fond de la salle, qui se met à jouer par erreur du Chopin, on saisit d’emblée qu’on n’est pas là pour se prendre au sérieux, encore moins pour se faire engueuler.
De sa voix chaude et vibrante, sans micro, le chanteur attaque alors la Java des bombes atomiques. Le « tonton » nous met tous en joie d’autant plus que l’acteur en fait des tonnes, tournant sur lui-même, roulant des yeux comme des billes, dans une gestuelle qui nous ramène au temps du café théâtre, au temps d’Yves Montand ou de Philippe Clay.
C’est carrément jouissif d’entendre Julien Renon s’en prendre à notre actualité avant de se mettre à chanter un répertoire vieux de soixante bonnes années, qu’il soit question de l’armement (Le petit commerce), du mariage pour tous (Vous mariez pas les filles) ou de la démission de Benoît XVI (Sermonette), sage décision qui devrait servir de modèle pour mettre fin aux religions : « J’ai vu trop de haine / tant et tant de peine. »
Mais l’actualité troublante de l’œuvre de Boris Vian est peut-être plus sensible encore dans des textes touchant à des thèmes plus personnels : l’amour, le désespoir ou la mort. C’est sans doute là qu’est la grandeur de chansons qui atteignent chacun dans son intimité, leur accordant alors une portée intemporelle, universelle.
Du comique, de la satire (Le blues du dentiste, Les joyeux bouchers, J’suis snob, Bourrée de complexes) voire du burlesque (Arthur où t’as mis le corps ?, Fais-moi mal Johnny) vers lequel tend le jeu de Julien Renon, on passe alors à l’émouvante perception de notre tragique condition humaine. « La vie vaut-elle d’être vécue ? » (Je bois), « Monde pourri/ monde trop vieux / Pierrot te dit ce soir / Adieu ! » (Terre-Lune). Même l’amour a peu de chance d’être salvateur pour nous « régiment des cœurs cassés ». Alors un seul commandement : « Ecartez–vous, laissez passer… Fuyez les amours mal embringués ! » ? Inutile de mentir, de se mentir : « Sans blague est-ce que tu crois vraiment qu’on va s’aimer tout le temps ? » Et pourtant nous allons tous tenter d’y croire : « Et je sais, mon frère, qu’il te faudra marcher seul en essayant toujours de sauver l’amour » (Sermonette).
Y a du soleil dans la rue mais le poète lui préfère la nuit : « Et le soir il vient un moment où la rue devient autre chose, et disparaît sous le plumage de la nuit pleine de peut-être »…
En somme, un spectacle en acoustique, où l’on rit franchement, on s’émeut souvent, un peu comme dans la vraie vie. Julien Renon et Valérie Rogozinski, dans un duo parfaitement réglé, rendent hommage à l’un de nos plus grands écrivains du siècle passé, humaniste s’il en est, auteur de chansons autant que de romans, de théâtre et de poésie.
Pas de vidéo de ce spectacle. Alors on retrouve Boris Vian…
Une citation de Onuphre Hirondelle alias Boris Vian que j’aime bien : “Les oiseaux sont responsables de trois au moins des grandes malédictions qui pèsent sur l’homme. Ils lui ont donné le désir de grimper aux arbres, celui de voler, celui de chanter…”