Philippe Forcioli, homme de boue, debout
« Quatorze auteurs pour 14-18 », Philippe Forcioli, 15 février, Théâtre et chansons, Aix-en-Provence,
Il ne s’agit ni d’un énième récital de chansons de poilus, ni d’une simple lecture comme il le présente, mais d’un véritable spectacle où l’homme de boue (il se qualifie ainsi) qu’est Philippe Forcioli reconstitue devant nous, de l’intérieur, les sentiments que l’on pouvait ressentir à cette époque.
Quatorze auteurs ont vécu le front (Apollinaire, Céline [Voyage au bout de la Nuit], Cendrars [La main coupée], Chevallier [l'auteur de Clochemerle dans son premier ouvrage :La Peur], Dorgelès [Les Croix de bois], Giono [Le grand troupeau]), étaient les témoins à l’arrière (Delteil, Paul Fort) ou encore ont écrit postérieurement sur cette époque (Sylvie Germain et son Livre des Nuits, Le Clézio avec Le chercheur d’or). Des chansons viennent en intermède illustrer ces scènes, avec des ponctuations musicales de Debussy.
Car Philippe Forcioli, ce chanteur-poète, se glisse dans ses personnages pour nous exprimer tous les caractères et les sentiments humains, réussissant la gageure d’être tour à tour homme, femme, poilu au front dans ses souffrances physiques et morales, courageux ou humble, ridicule ou admirable, héros ou victime, va-t-en guerre ou pacifiste. En un mot un homme debout, avec ses forces et ses faiblesses. Sans affectation, il passe de l’un à l’autre dans une mise en scène dépouillée, à la lueur d’une bougie, sur la table de celui qui écrit.
Il y a des moments drôles et d’autres tendres dans ces pages terribles : c’est la vie comme elle est, c’est l’homme. La voix de Forcioli, son talent aussi, redonnent vie aux acteurs, célèbres ou anonymes, de cette tragédie. Comme ce pêcheur superstitieux surpris par la déclaration (sûr qu’il n’attrapera une truite que si la guerre est déclarée), les tentatives désespérées de Jaurès pour empêcher le déclenchement des hostilités, René Viviani lisant le discours de Raymond Poincaré le 4 août 1914 aux députés, Céline témoignant que « 20 millions d’hommes ont tout interrompu pour aller tuer d’autres hommes (…) Mais j’y suis allé tout de même », le patriotisme qui réconcilie, la grande Histoire et les petites anecdotes… Et toujours Madelon : « Ce n’est que Madelon mais pour nous c’est l’amour. »
Forcioli est dans la boue des tranchées, où l’on ne sait ce qui est le plus dur, de tuer ou de mourir, où les cervelles giclent, où l’on souffre tant de la faim que de la soif, de la saleté, des rats, des gaz, des maladies et du froid. Il est ce grand noir devenu fou qui danse nu sous la mitraille et tombe sous les balles venues d’on ne sait où… Il est ces femmes, seuls espoirs des poilus… « Il a fallu la guerre pour nous apprendre que nous étions heureux. »
Il est le Papé de Giono qui résiste à la réquisition des chèvres et nous donne un peu de baume au cœur, au milieu des soldats sacrifiés comme des moutons… Il est aussi l’instituteur Louis Pergaud donnant sa leçon d’instruction civique dans La guerre des boutons, il est Le Grand Meaulnes rencontrant Yvonne de Gallet, Charles Péguy nous parlant de l’Espérance et Apollinaire : « C’étaient des saints et des poètes égarés dans le firmament. » Tous morts pour la France.
Belles illustrations musicales par le Noël des enfants qui n’ont plus de maison de Debussy, l’anonyme Non non plus de combats, (« Aimons-nous, peuples d’ici-bas / Ne nous tuons plus entre frères ! ») ou La guerre de 14-18 de Brassens.
« Aussi longtemps qu’il y aura des printemps sous le ciel et qu’il y aura des femmes au monde, je crierai : A bas la guerre ! » (Louis Delteil, 1926)
Le site de Philippe Forcioli, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.. Une chanson de lui qui n’est cependant pas tirée de ce spectacle :
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