Matthieu L, sous son ciel normand
J’ai parfois l’impression qu’entre la chanson formatée des grands médias audiovisuels et celle « de parole » certifiée brevetée, il y a un no man’s land gigantesque, peuplé d’artistes à profusion, souvent intéressants, plus encore parfois, qui, au mieux, ne peuvent prétendre qu’à une chronique sur Francofans, une autre sur NosEnchanteurs, et quelques scènes de proximité. Pour l’heure en Normandie. Du gâchis, me semble-t-il.
Comment dire à l’écoute du dernier album de Matthieu Lemétais (dit Matthieu L, Ciel normand, l’estime dans lequel on peut tenir cet artiste, dont nous connaissions (et appréciions) son précédent album, Intrigues à l’eau de rose ? Il suffit de plonger dans un tel disque pour s’affranchir du temps et, si peu que vous ayez enclenché la touche repeat, de ne plus avoir de repères, sinon la musicalité du propos, la voix prenante, chaude, un peu granuleuse, très « standard variétés » (on songe à quelques québécois de belle tenue), qui vous attire vers elle et ne vous lâche plus.
Un paysage, gris bleu, ciel normand. Et des ballades amoureuses, comme on ne sait plus en faire : « Manqué mon rendez-vous avec toi / Tes vingt piges ont fait peau neuve / Et place nette / Depuis esseulé mon cœur se consume et fume / Pire qu’un sapeur / J’ai beau voguer, virer de bord / Louvoyer, faire sonner de drôles d’accords / Tombe le rideau sur le show / Qui pimentait sucrait pimentait ma vie / Est-ce que tu penses seulement à moi / Un peu ? » (Gris bleu)
Douze titres, le quart en anglais et ça renforce plus encore l’idée de folk-singer que Matthieu L (guitares, harmonica et percussions) dégage par cet opus, qui estompe le son rock de son précédent opus. Comparaison n’est certes pas raison, mais la parenté avec l’art de Cabrel saute parfois à l’oreille comme rare évidence.
Ce disque est sorti il y a un tout petit plus d’un an (aïe, il s’était glissé par mégarde sous une mauvaise pile chez NosEnchanteurs…) : on notera une chanson alors plus que d’actualité, Mariage pour tous (très rock, elle), qui ne tourne pas autour du pot et s’adresse aux partisans des Boutin et autres barjots ultra-cathos. Devra-t-elle ressortir en cas d’alternance ?
Rien à redire de ce disque délicat, au beau travail d’écriture des notes et des mots. Un seul regret, pour faire encore son ronchon, c’est qu’il n’y ait pas de livret où on puisse prolonger le plaisir du verbe et à notre tour se mettre en voix de telles chansons.
Matthieu L, Ciel normand, autoproduit/distribution Believe/Zimbalam, 2013. Le site de Matthieu L, c’est ici.
Merci pour votre vigilance Michel ! J’imagine le nombre d’écoutes, plus ou moins bonnes, et nous, les enchantés, n’avons que le meilleur !
ça n’est pas entre la chanson de parole telle que vous la voyez et la chanson formatée, c’est ailleurs.
La chanson « Barjac » semble formatée elle aussi sur la sensibilité de certains auditeurs qu’on qualifiera un peu vite et pour en rire tendrement « institutrices centre gauche tupperware à la retraite » et qui prennent plus au sérieux Michèle Bernard que Loic Lantoine, plus au sérieux Michel Bühler que Bernard Adamus. Je parle des MichelE parce que je partage avec eux ce prénom de merde et un souci du joli texte à couler dans les chansons. Mais Lantoine, Adamus et Nicolas Jules tirent ce champ créatif qu’est celui de la chanson vers un territoire d’écriture et de musicalité moderne et vivant qui ne se soucie pas de format. Mathieu L, pour autant que je puisse en juger sans l’avoir vu, ne tire pas très fort dans ce sens mais cette idée que nous ayons à partager un espace « entre » Utgé Royo et Mylène Farmer ne me convient pas. Ailleurs. Merci
« Il n’y a pas d’ailleurs Où guérir d’ici. »
Eugène Guillevic