Arras 2014 : se souvenir des belles choses (2)
Reportage en deux épisodes : lire le premier ici.
« Dix ans de découvertes », LE spectacle emblématique des « Faites de la Chanson » avait été pressenti sur ce site. On avait déjà vu et entendu il y a plus ou moins longtemps les huit participants séparément sur la scène de l’Hôtel de Guînes et on avait apprécié leurs talents respectifs. On avait écouté leurs disques ou les émissions de radio qui les avaient diffusés et on savait qu’ils ne pouvaient pas nous décevoir. C’est donc en connaissance de cause que 150 à 200 personnes, en dépit du football franco-helvétique, avaient pris ce soir-là le chemin du théâtre à l’italienne : elles ne l’ont pas regretté. Ce fut mon plus beau spectacle collectif depuis Gare à Riffard, organisé sur le même principe : dépasser les individualités et les fondre dans une petite troupe mobilisée sur un projet commun.
Dès l’entrée en scène d’Hervé Lapalud chantant Si tous les gars du monde accompagné d’une kora ouest-africaine (tout un symbole) on a compris qu’ils chanteraient la fraternité. Quand tous les autres l’ont rejoint, on a su qu’ils la vivaient déjà, que l’amitié était le ciment qui les avait rassemblés et unis dans la démarche. Ils ont mis en commun leurs voix et leurs talents différents de musiciens au service de leurs titres choisis dans l’esprit de la soirée : Julie Rousseau, puis Marion Rouxin et Laurent Berger au piano, Gilles Roucaute, Hervé Lapalud, Eric Frasiak et Laurent Berger aux guitares, Coline Malice à l’accordéon, Davy Kilembé à la basse et aux douces percussions, Hervé Lapalud à la kora et à l’harmonica.
Le spectacle s’est construit comme une fresque avec des chansons de chacun reprises au refrain et accompagnées aux instruments de façon toujours heureuse et pertinente. D’abord sont évoquées les tentations improductives ou vouées à l’échec du repli sur soi (Coline faisant crouler la salle avec son Île déserte), de l’ignorance des inégalités, de l’abomination du racisme (bouleversant Mon pays de Davy) et de l’inconscience de certains comportement (grave J’ai voté Front National de Gilles). Puis vient l’affirmation du besoin de racines (D’ici interprété quasiment en rap par Marion et le Petit Mouin de Julie) et d’insertion sociale par le travail (convaincant Monsieur Boulot d’Eric). Mais on ne peut vivre sans un regard respectueux (poignant Juste une femme d’Anne Sylvestre chantée par les trois femmes, chacune un couplet et le refrain partagé), sans une attention amicale ou amoureuse (Emouvante Elle t’attend par Laurent avec la participation de Coline) et sans la culture et le partage qui transcendent tout. Il faudrait citer tous les titres tant ils s’enchaînent bien l’un à l’autre reliés par un fil coloré d’humanisme, forment un patchwork dans lequel on reconnaît l’apport de chacune et chacun et dont l’ensemble s’affiche en une œuvre originale et flamboyante : une rare cohérence entre la forme et le fond. Ils termineront par une interprétation d’anthologie des Marquises de Jacques Brel qui boucle le cordeau et par Philistins de Richepin et Brassens a capella.
La chronique fidèle ne peut rendre qu’imparfaitement compte de la magie et de l’enthousiasme de ce spectacle où l’invention et l’imagination (trouver Quand les cigares… de Pierre Brunet pour illustrer le combat des intermittents…) font jeu égal avec l’émotion et l’humour (utiliser l’entretien radiophonique cafouilleux du début d’après-midi pour les remerciements divers !) et d’où diffuse en continu une saine et superbe complicité. Ces enfants qui sont devenus « chevelus, poètes » s’avèrent décidément indispensables pour embellir nos vies, leur donner un sens humaniste et une dynamique : on a bien de la chance de les avoir, et – chacun de leur côté ou ensemble – on leur souhaite de continuer à nous apporter un tel bonheur.
La dernière belle chose que nous ait offerte le festival fut un spectacle d’hommage à Anne Sylvestre par des chanteurs amateurs, accompagnés par l’impériale Dorothée Daniel et l’inventif Damien Nison. Vingt chansons tantôt humoristiques, tantôt graves, mises en scène par Xavier Lacouture et dont la réécoute avec une autre voix provoquait l’attention. Il faudrait doubler la dimension de l’article pour relater cette performance. Longue vie au chant amateur lorsqu’il se hisse à ce niveau et nous permet une telle redécouverte. Anne Sylvestre elle-même, très émue, ne s’y est pas trompée et nous faisons nôtres les remerciements qu’elle adressait à tous.
Ces échos nous rapportent de bien belles choses en effet, heureux privilégiés , ces quelques centaines de personnes qui ont pu apprécier ce spectacle, une belle équipe qu’on aimerait voir tourner dans toute la France .
Ce spectacle a d’abord été dédié aux découvertes d’artistes faites par Didouda dans ses « cabarets-découvertes » dont nous avons parlé dans ce site. Une bonne partie de l’émotion et du plaisir éprouvé par les spectateurs provient de ce que ce spectacle célébrait une relation entre les artistes et les militants de l’association. Mais le témoignage de Fred Castel qui venait pour la première fois à Arras, montre que son impact a dépassé ce niveau-là, et qu’il peut atteindre bien au delà du public d’Arras. D’où l’idée de refaire éventuellement ce spectacle s’il était demandé ailleurs. C’est évidemment une alléchante perspective.
Peut-être, dans ce cas, faudrait-il en changer le titre, et l’adapter pour lui permettre d’avoir lieu même si les 8 artistes (qui proviennent des 4 coins de la France !) ne sont pas tous disponibles le même jour ! C’est le problème rencontré par les spectacles collectifs comme « Boby Lapointe repiqué », « carré de dames » ou « Gare à Riffard » par exemple. Sans parler de coût. Mais ce serait une excellente chose qu’un tel investissement d’Hervé Lapalud et des sept autres puisse « tourner » !
Deux biens belles soirées, collectives, solidaires, oui… Sans oublier inventives. merci aux organisateurs de nous avoir offert ces beaux cadeaux.