Jofroi : un gros livre comme un journal intime
Sauvé dans Biblio
Tags: Barjac 2013, Jofroi, Nouvelles
« C’est un petit, petit pays, pays caché / Dans la bruyère et les rochers / Un coin perdu et suspendu comme un secret / Entre garrigues et forêts / Des entrelacs de murs de pierres, un cul de sac / Où j’ai posé mon sac / Cabiac sur terre… »
21 x 21 cm, dos carré collé, mise en page impeccable, jolie iconographie, pas loin du kilogramme… rien à redire sur cet estimable livre qui fait retour sur un parcours de vie, celle du chanteur Jofroi.
Ce n’est ni une autobiographie, ni un recueil de ses chansons (l’intégrale de ses textes tout de même : plus de deux cents chansons, de 1970 à maintenant) : c’est modestement les deux. Modestement car on sent dans ce livre le travail d’artisan qui se veut le plus juste, le plus précis possible, rassemblant son œuvre certes mais surtout l’éclairant de souvenirs, d’émotions, d’intentions artistiques, l’illustrant de documents. Modestement, je maintiens, car ce livre imposant pourrait paraître orgueilleux, prenant plus de place que d’autres dans une bibliothèque : il suffit de s’élancer à la lecture des presque 300 pages de l’opus pour ruiner l’a-priori : l’art typographique (qui n’est pas étranger à Jofroi) vient simplement en appui d’une narration utile et, ma foi, passionnante.
Car on ne connaît que très peu le patron des Chansons de parole de Barjac, ce chanteur quittant son plat pays pour les montagnes d’Ardèche, pour son enclave du Gard, son Cabiac-sur-terre : « Je pourrais te parler / Toute une journée / De l’odeur de la terre… ». Dans le landerneau de la chanson à texte, il est plus le directeur d’un festival important, influent, dont la moindre décision, la moindre programmation est analysée, décortiquée, commentée (il suffit de lire NosEnchanteurs pour s’en convaincre) que lui-même auteur-compositeur-interprète. C’est sans doute dommage. L’appréciation de son travail d’artiste est faussée par Barjac (quatre pages seulement de cet ouvrage y sont consacrées, dont deux à l’arrivée dans les Cévennes et la rencontre avec ce festival tout juste naissant qui s’appelait alors « En chanson dans le texte ») et ce livre peut faire la bascule, lui rendre justice, donner envie, vraiment, de découvrir son œuvre chantée (par les disques, en concert aussi), de saisir une cohérence de vie, de choix, de nous le rendre plus proche.
C’est aussi, par Jofroi, une traversée de bien quatre décennies de rencontres et d’émotions. Dans le monde de la chanson (Félix Leclerc, Jean-Pierre Chabrol, François Béranger…), certes, mais pas que. En d’autres arts et il n’est pas surprenant, au détour d’une page, de rencontrer le souvenir de Fred, le papa de l’incorrigible rêveur Philémon, ou de ces autres dessinateurs (belges) que sont Schuiten (Les Cités obscures) ou Geluck (Le chat) : Jofroi est bédéphile aussi vrai qu’il est touche-à-tout de grand talent.
Il y a surtout ces chansons, sur ces pages qu’on ne feuillette pas comme ça, qu’on ne froisse pas, qu’on ne corne pas. L’élégance de ce livre impose le respect et donne le ton, le la de la lecture, presque le tempo. La (re)découverte d’une œuvre, une vraie, est toujours empreinte d’émotion : un homme s’y révèle, s’y décrypte.
Bien beau travail que tout cela. Et l’œuvre il va de soi. Et cet imposant livre qu’on feuillètera souvent.
Jofroi, De Champs la rivière à Cabiac sur terre, Editions du Soleil, 2013. On peut commander ce livre sur le site de Jofroi.
Bel article, juste à tout point de vue.
Merci Michel