Marcel Kanche : pourquoi chanter Ferré ?
Marcel Kanche et le L’ i Overdrice trio, 29 janvier 2013, Festival Les Poly’Sons de Montbrison.
L’ i Overdrive trio ce sont Philippe Gordiani aux guitares, Bruno Tocanne à la batterie et Rémi Gaudillat au trompette, bugle et orgue, une formation jazz, jazz-rock : fines gâchettes du son qu’on imagine rompues à toutes les scènes : festivals comme caves à jazz pour rendus certes différents mais même musique passionnante. Le quatrième c’est Marcel Kanche, qui pour l’heure se met en voix Ferré, le Ferré du parlé-chanté qui fut longtemps sa marque de fabrique, sans rien de sa période « variété » si ce n’est C’est extra. Bon… j’avoue ma gène. Ce n’est pas que Kanche, dans son appropriation de Ferré, soit imméritant. Bien au contraire. Il insuffle vie à des textes lumineux, en tous cas il tente. Mais voilà, Kanche a le même timbre, la même voix, le même phrasé, la même diction que Ferré. Sans doute ne le fait-il pas exprès : Kanche n’imite pas, je crois. Mais, fermez les yeux et vous entendez Ferré, une voix parfois teintée, frottée par celle de Bashung. C’est troublant, c’est gênant. Ça renvoie à l’original et ne pardonne rien. Volontaire ou non, on est dans l’identique, le décalque, le copié-collé et on ne voit pas à quoi ça peut servir. Quand, parfois, Kanche chante un inédit du vieux lion, il s’affranchit enfin (presque) de la tutelle, de la voix-étalon, de l’aimantation : ça ne nous renvoie pas à la matrice et c’est bien. Tout n’est d’ailleurs pas réussi : si certains titres sont chantés avec brio, d’autres sont sans relief, comme si Marcel Kanche n’avait pas osé pénétrer l’âme du texte, remuer ses entrailles, forniquer avec les mots : Le silence et la mer est avec lui à marée basse, sans passion ni ressac, pénible, à mille lieux de tout lyrisme, de l’emphase que cette chanson suggère et appelle. Encore faudrait-il que l’interprète daigne apprendre ses textes au lieu de constamment les lire sur leur pupitre. A une adolescente qui lui demandera plus tard, après le concert, pourquoi il chante avec les textes sous les yeux, Kanche répondra : « Les textes ? J’aurais pu me les cogner mais j’ai pas eu le temps. » La politesse, monsieur, c’est d’apprendre ses textes, c’est de faire bien le métier pour lequel on est payé. Après on s’étonne de la distance d’avec la salle (pas de rappel, tout de même !), on suppute le manque de charisme du chanteur, on constate son immobilisme : que voulez-vous, le chanteur est occupé à lire ses feuilles de pompes et n’a pas le don d’ubiquité ! Il n’est ni Ferré ni maréchal-ferrand.
Plutôt « La mémoire et le mer » non ? Un des grands moments du spectacle d’Annick Cisaruk, qu’elle a magistralement interprèté lundi dernier pour La nuit de la pleine lune. Ça ne s’improvise pas en lecture occasionnelle un texte comme ça; il faut être dedans.
Faire revivre Ferré, et son répertoire, c’est intégrer aussi que Ferré se voulait autant musicien qu’auteur. Et dans quelques albums d’hommages-dommages, il y a eu de beaux assassinats de Ferré musicien, quand des gens « revisitent » la musique en l’émasculant de ses originalités, « Thank You Satan » par exemple fut particulièrement maltraité. En revanche Bashung avait été grandiose avec une re-création musicale qui tourne autour de la musique de Ferré avec subtilité et inspiration. Rare.
ah … La mémoire et LA mer ….
Peut-être, aussi, que la politesse, c’est ce qui vous conduit à écrire une chronique sans déformer le nom d’un groupe, n’est-ce pas ?
Ah, le « Loverdrive Trio » !!! Très amusant… mais un peu ignorant de l’etymologie d’un I.Overdrive Trio, ainsi baptisé parce que ses musiciens se sont fait connaître en 2008 par un fiévreux hommage à Syd Barrett, membre fondateur de Pink Floyd et compositeur de « Interstellar Overdrive », une composition de l’album « The Piper At The Gates Of Dawn ».
Étonnant non ?
Réponse : La faute est corrigée. Est-ce que ça change un mot, une virgule, du reste ? Non ! Etonnant, non ? Comme quoi la politesse est autre chose, Monsieur le « maître chronique » MK
Une belle rencontre… Captivant du début à la fin.
C’est l’histoire d’une belle rencontre entre l’auteur compositeur Marcel Kanche et une formation magnétique aux confins du jazz et du rock, l’i.overdrive Trio. Au cœur de leur travail de fusion, un certain Léo Ferré… Un disque dont le titre est emprunté à l’épilogue de L’Opéra du Pauvre composé par Léo Ferré. Ce qui frappe d’emblée à son écoute, c’est l’idée d’une brûlure : Marcel Kanche dit plus qu’il ne chante, effleurant la plupart du temps les mélodies originelles (comme par exemple sur la reprise de « C’est extra »). On le sent comme pris à la gorge, livrant de manière abrasive et hantée la poésie du grand Léo. Il y parvient d’autant mieux que l’environnement musical instillé par l’i.overdrive, une fois de plus, maintient l’équilibre entre l’identité de la source (ici la poésie douloureuse de Ferré) et la sienne propre. Jamais envahissante, jouant comme sur son premier disque la carte de l’épure dans une formule plutôt rare : trompette, guitare et batterie, la tension maintenue par le trio apporte ce je ne sais quoi d’hypnose et de puissance qui forment un très bel écrin aux mots déclamés par Marcel Kanche. Ni jazz, ni rock, un peu les deux, un peu autre chose. Une certaine idée de l’outre musique, en quelque sorte, avec cette combinaison d’électricité des cordes (impeccable Philippe Gordiani, qui n’hésite pas à tisser une toile sonore ou marteler des imprécations rythmiques dans lesquelles plane l’ombre d’un certain Robert Fripp, qui n’est jamais loin, souvenons-nous de son magnifique « Free KC To Gawa » sur le bouleversant disque du Libre(s)Ensemble, KC signifiant, vous l’avez compris, King Crimson) et d’appels lancés par la trompette de Rémi Gaudillat, jamais à court d’envolées qui ressemblent à des hymnes. Tocanne, lui, sait ce qu’il a à faire : en musicien toujours à l’écoute et en éveil, il délivre son jeu dont les nuances évoquent une autre idée, celle de l’impressionnisme. On n’est pas disciple de Paul Motian pour rien, même lorsque le propos exige, ici ou là, de frapper (en témoigne un violent et court « Le chien », moins de deux minutes et un beau coup de poing). J’aimerais aussi souligner la beauté formelle du son de sa batterie, toute en humble élégance… Un modèle du genre. L’histoire nous dit que Léo Ferré aimait Pink Floyd ; elle nous raconte aussi que Marcel Kanche fut séduit par l’i.overdrive Trio lors de la publication de son premier disque ; elle est encore plus belle quand on sait que Marie et Mathieu Ferré ont offert à Marcel Kanche, après une rencontre quelque part en Toscane, « Le chemin d’enfer », un somptueux titre inédit de Léo, qu’on peut découvrir sur Et vint un mec d’outre saison. Le disque nous raconte tout cela, comme dans un seul souffle, sans possibilité de repos pour celui qui veut s’y plonger. C’est un cadeau précieux, qui maintient vive la flamme d’un poète singulier, mais sans jamais sombrer dans une quelconque nostalgie ni dans le piège de la fossilisation hagiographique. Ces « chansons » sans âge sont comme torréfiées par un quatuor inspiré qui nous administre un bel exemple d’appropriation exempte de tout risque de trahison.Alors «Ni Dieu ni maître» ? Peut-être… mais on dirait bien que la passion aura été un guide fort stimulant pour mener à bien l’aventure d’un disque qui ne ressemble qu’à lui-même et dont les stances captivent du début à la fin.
11/2012 – Denis Desassis MAITRE CHRONIQUE
J’avais raté cet album, pourtant j’ai suivi assez régulièrement les créations discographiques de Marcel Kanche. Et ce qui se passe autour de Ferré. J’attends avec une certaine impatience de le découvrir, histoire de voir comment l’interprète est entré dans l’univers textuel de Ferré sans connaître les textes par coeur….
Maitre Kemper
Si vous supputez un manque de charisme me concernant. Je suppute chez vous un manque de courage lorsque vous preniez à la volée cette bribe de conversation (certes provocatrice) sur ma relation aux textes. Aux abords de ces propos il suffisait que vous m’invitiez au dialogue afin que vous compreniez le pourquoi. Propos étayés plus tard avec ces jeunes lycéennes. Mais vous vous contentiez de ce cliché abreuvé par votre leçon de morale. Valeur/travail.
Je vous laisse à vos articles oxydés dans votre armure rouillée concluant par cette phrase de L. Ferré.
« Ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres »
Bien à vous
MK
En effet vous avez-vu juste. Je ne suis pas Ferré ni maréchal ferrant. Je suis céramiste.
Vincent Béssières JAZZ NEWS
Une réussite
D’un côté, un ex punk reconverti en song-writer à l’univers sombre, capable d’écrire, pour les autres, des chansons à succès; de l’autre un trio de jazz (guitare, batterie, trompette) créé pour un album hommage à Syd Barrett. Dés les premiers vers du titre qui ouvre l’album, on est saisi par la ressemblance entre la voix de Marcel Kanche et celle de Léo Ferré lorsque ce dernier parle plus qu’il ne chante. Musicalement, on est par contre à mille lieues de l’ambiance des albums de Ferré : une guitare avec une once de saturation (ou plutôt d’overdrive), une batterie très jazz, savante et subtile (qui tient également le rôle de la basse), et une trompette qui porte les mélodies. Si « Epilogue » ouvre cet album, ce n’est certainement pas un hasard. La force des mots et la puissance de l’arrangement musical de ce titre en font une introduction parfaite au monde de Léo Ferré vu par le quatuor Kanche, Gordiani, Gaudillat, Tocanne. Suit « La Solitude », un des trois titres de l’album de Ferré du même nom qui ne soit pas accompagné par le groupe jazz-rock Zoo. Un « La Solitude » ornementé ici d’une guitare et d’une trompette qui évoquent celles de Katonoma, une trompette à laquelle la voix de Marcel Kanche abandonne la dose de lyrisme que Ferré mettait dans sa voix. Tout au long de « Et vint un mec d’outre tombe », Kanche parle d’ailleurs plus qu’il ne chante, et les mélodies sont tenues le plus souvent par la trompette ou la guitare, mais aussi par la batterie. « C’est extra » devient la balade rock qu’on a toujours entendue au fond de nous. « Cette blessure » ressemble à un morceau qui aurait pu être composé par Marcel Kanche et qui aurait pu être présent sur n’importe lequel de ses albums récents. « Le chemin d’enfer » (un inédit de Léo Ferré) est juste accompagné d’une nappe musicale planante, et « Le chien » (un des plus beaux titres de l’album) est transformé en un morceau post-rock jouissif mêlé de free jazz. Je ne sais pas ce qui a pu décider Marcel Kanche et i.overdrive à faire cet album de reprises de Ferré. Sans doute simplement l’envie de partager une passion commune pour cet artiste considéré (à juste titre) comme un des plus grands auteurs-compositeurs et poètes du vingtième siècle. Je pense par contre savoir ce qui en fait une réussite : un savant mélange entre le respect de l’œuvre originale, l’appropriation totale des titres interprétés, et l’originalité d’une interprétation à la clarté éclatante qu’ils nous offrent. POP NEWS
Ce qui est bien avec Ferré, c’est que c’est jamais tiède, on le vérifie encore une fois, mais le débat est bi polaire, si je puis dire, il y a un concert, et ce qui a été ressenti, et d’autre part l’album, dont l’analyse par les deux contributeurs montre l’excellent travail sur la musique, ce qu’avait fait Bashung, il n’y a pas de hasard…
Et ce qui est intéressant, dans cette approche jazz, c’est que Ferré avait déclaré ne pas aimer le jazz.. qui lui rend hommage… Beau clin d’oeil.
Merci Michel, encore une fois, de me faire découvrir un chanteur que je ne connaissais pas. Moi, l’emphase de Léo Ferré m’a toujours gênée. Alors les reprises de Monsieur Kanche, qui calme le jeu (je ne trouve pas que sa voix imite Ferré, c’est bien la sienne !), accompagné de cette superbe formation jazz-rock, moi, cela me plaît bien, je trouve que cela renouvelle bien Ferré tout en lui rendant hommage, et c’est vrai qu’on pense aussi à Bashung quelquefois. Et le texte est assez fort pour qu’on n’en rajoute pas. Alors je ne sais pas ce que ça donne en concert, en lisant le texte, mais pour l’album, c’est réussi, merci ! Je n’ai pas pu écouter » la mémoire et la mer ». Dans les reprises de cette chanson, j’aime bien celle de Lavilliers, qu’il s’approprie, celle de Philippe Léotard, dite, celle de Marc Robine…Toutes très différentes, ce qui me plaît !